1,5 milliard€ pour les Grands Lacs : Paris secoue la diplomatie

Jean-Baptiste Ngoma
7 mn de lecture

Paris relance l’urgence humanitaire des Grands Lacs

Réunis à Paris le 30 octobre, une soixantaine d’États et d’organisations ont placé la crise humanitaire des Grands Lacs au sommet des priorités internationales. En clôture, Emmanuel Macron a annoncé une mobilisation financière de plus de 1,5 milliard € destinée aux populations de la République démocratique du Congo et des pays voisins.

Le chef de l’État français a souligné que le plan de réponse humanitaire de l’ONU, évalué à 2,5 milliards €, n’était financé qu’à 16 % avant la conférence. Paris entend donc accélérer l’afflux de médicaments et de vivres vers les civils déplacés, rappelant que l’est de la RDC concentre des indicateurs de vulnérabilité parmi les plus alarmants du continent.

Des couloirs sécurisés pour une aide traçable

Au-delà des annonces financières, la France a promis la réouverture de l’aéroport de Goma aux vols humanitaires dans les semaines à venir. Des couloirs sécurisés doivent également voir le jour pour garantir que les convois ne soient plus l’otage de groupes armés ou de bureaucraties plombant la logistique.

« Nous ne pouvons pas demeurer des spectateurs silencieux de la tragédie », a martelé Emmanuel Macron, évoquant des chiffres « insoutenables » : près de 28 millions de personnes en insécurité alimentaire, des millions de déplacés, une femme violée toutes les quatre minutes. Le réalisme humanitaire s’allie ainsi à une volonté de marquer les esprits.

Un plaidoyer africain pour la souveraineté de l’aide

Médiateur de l’Union africaine, le président togolais Faure Gnassingbé a invité le continent à contribuer à son propre effort humanitaire « par dignité autant que par efficacité ». Selon lui, les routes de l’aide sont parfois elles-mêmes instrumentalisées, les taxes informelles affaiblissant l’impact attendu sur les communautés locales.

Le dirigeant togolais a dénoncé l’exploitation minière informelle et la contrebande qui alimentent les groupes armés. Il plaide pour une traçabilité de chaque ressource, condition d’un développement réellement bénéfique et d’une paix durable. Son discours confirme la montée d’une exigence de contrôle africain renforcé dans la gouvernance des fonds humanitaires.

Brazzaville : vigilance et alignement régional

Situé à la frontière occidentale des Grands Lacs, le Congo-Brazzaville suit avec une attention particulière la dégradation humanitaire en RDC. Si Brazzaville n’a pas détaillé de contribution financière, sa diplomatie reste attachée aux mécanismes régionaux de prévention des crises, notamment au sein de la CIRGL et de la CEEAC.

La sécurisation des couloirs humanitaires pourrait réduire la pression migratoire et économique qui touche l’ensemble de la sous-région. Dans un contexte où le président Denis Sassou Nguesso s’emploie à promouvoir la diplomatie de paix, la conférence de Paris offre une plate-forme pour renforcer le rôle discret mais constant du Congo dans la médiation multilatérale.

Un faisceau de médiations en progression lente

Le rendez-vous parisien s’est aussi voulu un soutien aux négociations déjà en cours. Kigali et Kinshasa ont signé fin juin un accord à Washington, tandis qu’un texte de Doha, le 19 juillet, fixe un cessez-le-feu permanent entre le gouvernement congolais et le M23. Qatar et États-Unis, tous deux présents, espèrent capitaliser sur cet élan.

Cependant, les violences persistent dans le Nord-Kivu, rappelant que les annonces ne suffisent pas. Luc Lamprière, représentant du Forum des ONG internationales en RDC, a prévenu que les financements n’auront de sens que si les entraves administratives et logistiques disparaissent. Les acteurs humanitaires attendent des signaux fermes et rapides sur le terrain.

Quels effets attendus pour la sécurité régionale ?

En drainant des fonds ciblés et des corridors surveillés, la conférence ambitionne de couper court aux détournements qui nourrissent les groupes armés. À terme, la normalisation des flux devrait réduire la volatilité sur les marchés frontaliers, une donnée cruciale pour la stabilité économique des capitales voisines, Brazzaville incluse.

Par ricochet, la participation accrue d’États africains au suivi de l’aide pourrait consolider la légitimité des organisations régionales, un levier que le Congo-Brazzaville valorise dans sa doctrine de sécurité collective. La consolidation de la paix à l’est de la RDC, si elle se confirme, renforcerait les ambitions de la CEMAC et de la CIRGL en matière de prévention conjointe.

Le pari multilatéral de Paris, de Lomé… et de Brazzaville

La présence simultanée de la France, du Togo, du Qatar et des États-Unis illustre la densité des partenariats mobilisés. Dans ce montage diplomatique, Brazzaville voit l’occasion de se positionner comme relais francophone et centre de gravité politique en Afrique centrale, rôle qu’elle cultive depuis plusieurs décennies.

L’alignement sur les objectifs humanitaires internationaux, sans perdre de vue la souveraineté africaine souhaitée par Faure Gnassingbé, permet au Congo-Brazzaville de défendre un logiciel d’influence qui marie solidarité, pragmatisme économique et respect de la sécurité régionale.

Calendrier d’une mise en œuvre sous surveillance

Les vols humanitaires vers Goma annoncés pour les « prochaines semaines » fourniront rapidement un test grandeur nature. Si les couloirs s’ouvrent sans incident, la visibilité de l’engagement international gagnera en crédibilité, rendant plus probable le versement effectif des 1,5 milliard €.

Les bailleurs se sont engagés à dresser un premier bilan sous six mois. À cette échéance, Brazzaville aura intérêt à valoriser dans les enceintes régionales les progrès réalisés, afin de consolider l’effet de stabilisation espéré sur l’ensemble du corridor Congo-Oubangui-Congo.

Scénarios d’impact à court et moyen terme

Le scénario optimiste verrait la pacification progressive du Nord-Kivu, la sécurisation des chaînes minières et l’essor de projets transfrontaliers. Dans cette hypothèse, le Congo-Brazzaville capterait une partie des échanges logistiques et financiers, dynamisant son économie fluviale.

Un scénario plus heurté laisserait perdurer des affrontements localisés. L’aide humanitaire, même mieux financée, resterait suspendue aux avancées sécuritaires. Brazzaville continuerait alors à jouer un rôle d’appui diplomatique, misant sur la résilience de ses mécanismes multilatéraux pour contenir les débordements éventuels.

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Jean-Baptiste Ngoma est éditorialiste économique. Diplômé en économie appliquée, il suit les grandes tendances du commerce intra-africain, les réformes structurelles, les dynamiques des zones de libre-échange et les flux d’investissements stratégiques. Il décrypte les enjeux macroéconomiques dans une perspective diplomatique et continentale.