Accord militaire historique : Alger et Tunis se rapprochent

Jean-Baptiste Ngoma
6 mn de lecture

Ce qu’il faut retenir

Alger et Tunis ont paraphé un accord de coopération militaire qui étend et modernise celui de 2001. Signé par le général Saïd Chengriha et le ministre Khaled Sehili, le texte couvre la formation, le renseignement et l’organisation d’exercices conjoints, afin de renforcer une sécurité régionale jugée sous tension.

Genèse d’un partenariat stratégique

La proximité historique entre les deux voisins s’est transformée en véritable axe sécuritaire depuis la « guerre contre le terrorisme » des années 2010. Le soutien algérien, matériel et humain, avait alors permis à Tunis de reprendre l’initiative sur le mont Chaambi. L’accord signé à Alger s’inscrit dans cette continuité, en offrant un cadre juridique plus ambitieux.

Un pacte de défense élargi

Le texte prévoit la mutualisation de centres d’entraînement, l’échange de doctrines et la standardisation progressive des équipements légers. Les deux états-majors insistent sur la circulation rapide d’informations tactiques, notamment aux frontières de Tébessa et de Kasserine, couloirs utilisés par des groupes armés transnationaux. À terme, une force de réaction conjointe est envisagée.

Volet renseignement et cybersécurité

Les autorités n’ont pas détaillé les dispositifs techniques, mais un partage en temps réel des données satellitaires algériennes et des écoutes radio figure parmi les innovations. Des unités mixtes devront aussi anticiper les cybermenaces visant les infrastructures critiques de part et d’autre de la frontière, dans un environnement où la digitalisation des administrations avance rapidement.

Lecture économique d’un accord militaire

En Tunisie, la coopération ouvre des débouchés pour les industries de maintenance aéronautique et navale installées autour de Bizerte. Côté algérien, la perspective d’exporter des munitions dites « intelligentes » produites par le complexe d’El Hadjar est évoquée par des responsables de la Défense. La dimension industrielle reflète une volonté de coupler sécurité et développement.

Contexte régional tendu

Le Maghreb fait face à des flux d’armes provenant du sud libyen et à l’enlisement de crises sahéliennes. Alger, médiateur traditionnel au Mali et au Niger, voit dans le rapprochement tuniso-algérien un moyen de sécuriser son flanc est avant de se projeter vers le Sahel. Tunis, en difficulté budgétaire, trouve dans cette alliance un levier diplomatique et financier.

Regards croisés à Nouakchott et Rabat

La Mauritanie, partenaire du G5 Sahel, observe favorablement un dispositif susceptible de soulager la pression sur son propre territoire. À Rabat, certains analystes soulignent que l’axe Alger-Tunis pourrait remodeler l’équilibre militaire maghrébin, même si aucun volet offensif n’est publicisé. Les deux signataires insistent néanmoins sur le caractère strictement défensif du traité.

Calendrier des premières mises en œuvre

D’après le communiqué final, un exercice amphibie se tiendra au printemps à Tabarka, suivi d’une manœuvre aérienne à Biskra à l’automne. Un comité bilatéral évaluera chaque semestre l’avancée des programmes de formation, tandis qu’un audit conjoint des infrastructures frontalières est prévu avant la fin de l’année.

Acteurs aux commandes

Le général Saïd Chengriha, chef d’état-major algérien, pilote le volet opérationnel avec le général Bouzid Boufrioua, patron des opérations terrestres. Côté tunisien, le ministre Khaled Sehili s’appuie sur le général Mohamed Ghoul, spécialiste du renseignement. Les chancelleries européennes, notamment italienne et française, affichent leur soutien technique sur les questions de surveillance maritime.

Scénarios d’évolution de la coopération

Si les indicateurs sécuritaires s’améliorent, le partenariat pourrait s’étendre à la lutte anti-piraterie en Méditerranée centrale, domaine où Tunis cherche une présence accrue. Un scénario moins optimiste, marqué par une dégradation au Sahel, pousserait les deux états-majors à accélérer la mise sur pied d’unités mixtes mobiles le long du couloir transfrontalier.

Dimension politique intérieure

Pour Alger, l’accord illustre la doctrine d’autonomie stratégique promue par la présidence. Il offre également un signal de stabilité aux investisseurs engagés dans le plan de diversification économique. À Tunis, le gouvernement met en avant le volet formation pour démontrer une montée en compétence des forces armées, argument clé dans le débat national sur la sécurité.

Lecture diplomatique internationale

En se rapprochant, Alger et Tunis renforcent leur poids collectif dans les enceintes multilatérales comme l’Union africaine et la Ligue arabe. Les diplomates évoquent déjà une coordination des votes sur les dossiers sahéliens et palestiniens. Certains experts y voient le germe d’un format 2+2 susceptible d’attirer la Libye stabilisée.

Perspectives et limites

La réussite du pacte dépendra de la capacité des deux pays à financer durablement les volets technologiques et logistiques. Les cycles électoraux pourraient aussi infléchir l’élan politique. Néanmoins, l’accord du 7 octobre constitue un jalon structurant d’une architecture sécuritaire maghrébine davantage intégrée, au service d’une stabilité régionale souhaitée par les deux capitales.

Partager l'article
Jean-Baptiste Ngoma est éditorialiste économique. Diplômé en économie appliquée, il suit les grandes tendances du commerce intra-africain, les réformes structurelles, les dynamiques des zones de libre-échange et les flux d’investissements stratégiques. Il décrypte les enjeux macroéconomiques dans une perspective diplomatique et continentale.