Afrique-USA : l’ère Trump rebat-elle les cartes ?

Jean-Baptiste Ngoma
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Ce qu’il faut retenir

Douze mois après son arrivée à la Maison Blanche, Donald Trump a fait passer l’agenda protectionniste avant tout autre paramètre de sa politique africaine. Tarifs douaniers relevés, suspension de l’African Growth and Opportunity Act pour 32 États et coupure de l’USAID ferment une parenthèse de coopération économique et sociale qui datait des années 2000.

Protectionnisme américain et choc tarifaire

Dès mars, Washington a relevé à 30 % les droits de douane sur l’acier et l’aluminium sud-africains, avant d’étendre la mesure au textile kenyan et au cacao ivoirien. Le Bureau du Représentant américain au commerce invoque la « sécurité nationale », un motif qui permet de déroger aux règles de l’OMC (USTR).

Pour plusieurs capitales africaines, l’initiative arrive à contre-temps. Les chaînes de valeur, adaptées en vingt ans à l’accès préférentiel américain, se voient brutalement renchéries. L’Organisation mondiale des douanes estime que l’Afrique du Sud à elle seule pourrait perdre 2,2 milliards de dollars d’exportations métallurgiques sur un an (OMD).

AGOA suspendu : quel impact sectoriel ?

Le décret présidentiel du 13 septembre met fin à l’AGOA, mécanisme qui exonérait de droits près de 6 500 lignes tarifaires. Lesotho, Madagascar ou Eswatini, dont plus de 70 % des ventes extérieures dépendent de la filière habillement, se retrouvent sans filet du jour au lendemain.

Pour le Kenya ou l’Éthiopie, qui misaient sur l’AGOA pour propulser leurs zones industrielles textiles, la suspension complique la montée en gamme. De nombreux groupes envisagent déjà de relocaliser vers le Vietnam ou le Mexique, marchés toujours sous préférences. La CNUCED estime une perte potentielle de 300 000 emplois pour l’ensemble du continent.

Retrait d’USAID et mutation de l’aide

Autre secousse : l’annonce, en octobre, de la fermeture progressive des 27 missions de l’USAID en Afrique subsaharienne. L’agence canalisait plus de 7 milliards de dollars par an, notamment vers la santé et l’agriculture. Les États fragiles comme le Niger ou le Liberia s’interrogent désormais sur la durabilité de leurs programmes communautaires.

La Maison Blanche justifie l’arrêt par une philosophie « trade not aid ». Les fonds seront redéployés vers des incitations au partenariat public-privé, regroupées sous une plate-forme baptisée Prosper Africa. Les gouvernements africains, qui saluent le principe de souveraineté, doivent néanmoins mobiliser davantage de ressources domestiques pour maintenir les acquis sociaux.

Minerais stratégiques, la tentation du deal

Si l’enveloppe d’aide se rétracte, le regard de Washington se fixe sur les minerais critiques, du cobalt congolais au manganèse mauritanien. Lors d’une réunion de juillet à la Maison Blanche, Donald Trump a exhorté ses invités à « aller droit au but », illustrant une diplomatie transactionnelle centrée sur la sécurisation des chaînes de batteries électriques (Reuters).

La République démocratique du Congo, principal producteur mondial de cobalt, est courtisée pour un accord d’approvisionnement. Dans la sous-région, Brazzaville voit l’opportunité de valoriser ses réserves de potasse et de fer, tout en diversifiant ses acheteurs. Le défi consiste à négocier un contenu local substantiel afin de transformer une rente minière en levier industriel.

Les réponses africaines et pistes futures

Face à l’incertitude, l’Union africaine accélère la Zone de libre-échange continentale pour atténuer le choc extérieur. Les ministres du Commerce de la CEMAC plaident pour des règles d’origine flexibles et un fonds d’ajustement destiné aux pays les plus exposés. Les diplomates soulignent, en coulisses, que la diversification des partenaires renforce la marge de manœuvre collective.

Plusieurs capitales misent également sur la diplomatie verte. Les États forestiers d’Afrique centrale, Congo-Brazzaville en tête, négocient la valorisation carbone de leurs massifs, susceptible d’attirer des investisseurs américains sensibles aux critères ESG. En combinant accès au marché et actifs environnementaux, le continent entend transformer une phase de repli américain en catalyseur d’intégration économique.

Dans les think tanks africains, trois scénarios dominent. L’optimiste table sur un rétablissement partiel de l’AGOA après les élections de mi-mandat américaines. Le médian mise sur une consolidation de Prosper Africa et un basculement durable vers le bilatéralisme. Le plus restrictif anticipe un désengagement prolongé, obligeant l’Afrique à accélérer son industrialisation interne.

Calendrier des prochaines étapes

Janvier prochain, un sommet commercial États-Unis-Afrique prévu à Houston doit préciser les contours de la nouvelle doctrine. Les délégations africaines entendent y défendre le maintien d’un accès préférentiel au moins pour les secteurs où l’offre américaine est marginale, tels le textile ou la floriculture. Les négociations s’annoncent serrées.

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Jean-Baptiste Ngoma est éditorialiste économique. Diplômé en économie appliquée, il suit les grandes tendances du commerce intra-africain, les réformes structurelles, les dynamiques des zones de libre-échange et les flux d’investissements stratégiques. Il décrypte les enjeux macroéconomiques dans une perspective diplomatique et continentale.