Brazzaville arbitre l’élection surprise de Farid Ghezali à la tête de l’APPO

Jean-Baptiste Ngoma
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Ce qu’il faut retenir

À l’issue d’une session ministérielle à huis clos le 4 novembre, l’Organisation des producteurs de pétrole africains a élu l’Algérien Farid Ghezali comme secrétaire général. Le siège de l’APPO, établi à Brazzaville, confirme ainsi son rôle stratégique. L’issue du vote, obtenue au terme d’intenses tractations, écarte le favori ivoirien et illustre l’équilibre subtil des influences régionales.

APPO : un hub pétrolier continental à Brazzaville

Créée en 1987, l’APPO rassemble aujourd’hui une quinzaine de pays producteurs décidés à peser collectivement sur la gouvernance mondiale de l’or noir. Depuis le transfert du siège à Brazzaville en 2018, la capitale congolaise offre un point d’appui diplomatique apprécié pour sa neutralité et son accessibilité intra-africaine.

Sous l’impulsion des autorités congolaises, le secrétariat permanent s’est doté d’outils analytiques reconnaissant le rôle croissant du pétrole africain dans le mix énergétique mondial. Selon le rapport interne 2022, le continent représente près de 7 % de la production globale, un chiffre appelé à croître avec les découvertes offshore récentes au Sénégal, en Namibie ou au Mozambique.

Les coulisses d’une élection sous haute tension diplomatique

La succession d’Omar Farouk, Nigérian achevant un mandat marqué par la réforme du fonds de développement d’infrastructures régionales, a suscité une compétition serrée. Plusieurs sources diplomatiques évoquent une demi-douzaine de cycles de consultations avant la fumée blanche du 4 novembre à Brazzaville.

Le candidat ivoirien, soutenu par les pays du golfe de Guinée, partait favori grâce au récent dynamisme d’Abidjan sur le dossier LNG. Mais Alger a capitalisé sur son statut de plus ancien membre producteur OPEP d’Afrique, ainsi que sur sa capacité d’ouvrir des lignes de crédit techniques via Sonatrach, pour fédérer un bloc nord-africain étendu au Sahel.

Profil de Farid Ghezali : la carte technocrate d’Alger

Ingénieur réservoir formé à l’École nationale polytechnique d’Alger, Farid Ghezali a piloté durant six ans la direction stratégie de Sonatrach, avant de coordonner les négociations gazières avec l’UE en 2021. Francophone et arabophone, il cultive une image de technocrate capable de dialoguer avec l’OPEP+ et les investisseurs de la transition.

Dans son discours d’acceptation, prononcé en français puis en anglais, il a promis « une APPO à la fois gardienne des intérêts pétroliers africains et catalyseur d’une industrialisation bas-carbone ». Sa feuille de route mentionne la mutualisation des raffineries, la montée en gamme pétrochimique et la promotion de synergies avec les banques de développement régionales.

La position du Congo : entre facilitation et rayonnement régional

Le gouvernement congolais, hôte de la réunion, s’est astreint à une stricte neutralité durant les discussions. Le ministre des Hydrocarbures Bruno Jean-Richard Itoua a toutefois salué « la maturité de nos États membres » et rappelé que la diplomatie brazzavilloise vise à faire du siège de l’APPO un incubateur de projets régionaux.

Cette posture conforte la stratégie du président Denis Sassou Nguesso, qui mise sur une diplomatie énergétique proactive pour diversifier les partenariats du Congo et attirer des capitaux dans les blocs offshore de Pointe-Noire. L’élection d’un nouveau secrétaire général est perçue comme un gage de stabilité opérationnelle, dont le pays hôte pourrait bénéficier à travers des programmes de renforcement de capacités.

Enjeux stratégiques : transition énergétique, marché africain et OPEP+

Le mandat 2024-2026 s’annonce crucial. L’APPO doit clarifier sa position sur les quotas OPEP+ face aux pressions sur la réduction de production. Les États membres divergent : certains misent sur une production maximale avant le pic pétrolier, d’autres cherchent à préserver leurs réserves pour financer la diversification économique.

Parallèlement, l’organisation travaille sur un cadre juridique pour faciliter le commerce intra-africain des produits raffinés, aujourd’hui entravé par la disparité des normes et la faiblesse des pipelines transfrontaliers. Les discussions portent également sur un fonds vert de 2 milliards de dollars destiné à l’électrification rurale via les revenus du pétrole, idée défendue par Brazzaville et Abuja.

Perspectives : une feuille de route à 2026

Farid Ghezali devra présenter d’ici six mois un plan d’action chiffré comportant un calendrier de modernisation des bases de données géologiques, l’harmonisation des codes pétroliers et la création d’un observatoire des cours en monnaie locale. Les diplomaties africaines, Congo en tête, voient dans cette étape l’occasion de consolider une voix commune sur la scène énergétique mondiale, tout en préparant l’après-pétrole.

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Jean-Baptiste Ngoma est éditorialiste économique. Diplômé en économie appliquée, il suit les grandes tendances du commerce intra-africain, les réformes structurelles, les dynamiques des zones de libre-échange et les flux d’investissements stratégiques. Il décrypte les enjeux macroéconomiques dans une perspective diplomatique et continentale.