Bruxelles: Tshisekedi défie Kagame avec une paix des braves

Jean-Baptiste Ngoma
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Ce qu’il faut retenir

Depuis Bruxelles, le 9 octobre 2025, le président congolais Félix Tshisekedi a lancé un appel solennel à son homologue rwandais Paul Kagame pour « faire la paix des braves » et mettre fin aux violences qui ravagent l’est de la République démocratique du Congo, pointant la responsabilité présumée de Kigali dans le soutien à l’AFC/M23.

Le chef de l’État congolais estime que seuls les deux présidents peuvent « arrêter l’escalade ». Paul Kagame, intervenu plus tôt au même forum européen sur l’investissement en Afrique, n’a pas répondu publiquement, évoquant simplement « une énergie positive » pour les affaires et la paix.

Bras de fer diplomatique à Bruxelles

S’adressant à un auditoire international, Tshisekedi s’est déclaré prêt à une poignée de main historique, tout en exigeant de Kigali l’ordre immédiat donné au M23 de cesser le feu. Il a placé son initiative sous le regard du président angolais João Lourenço, actuel président de l’Union africaine, saluant son rôle dans le processus de Luanda.

Le dirigeant congolais a rappelé qu’en décembre 2024, Kigali avait, selon lui, boycotté une cérémonie de signature qui aurait entériné un accord déjà « à 98 % » finalisé. Le président rwandais, jusqu’ici, maintient que l’absence de dialogue direct entre Kinshasa et l’AFC/M23 empêche toute avancée bilatérale.

Contexte

L’est de la RDC demeure une zone riche en minerais mais minée par trente ans de conflits. Depuis janvier 2025, l’AFC/M23, qualifié de « soutenu par Kigali » par Kinshasa, contrôle Goma et Bukavu, accentuant la pression militaire. Malgré un accord de paix signé à Washington le 27 juin 2025, les combats se poursuivent, nourrissant exode et tensions régionales.

Kinshasa refuse désormais toute coopération économique avec Kigali tant que la sécurité ne sera pas garantie. Mi-septembre, la délégation congolaise a décliné le cadre économique régional discuté à Washington, estimant qu’il n’est pas crédible de négocier des projets d’investissements alors que l’armée rwandaise et le M23 restent présents sur le sol congolais.

Calendrier

30 novembre 2024 : le facilitateur du processus de Luanda invite les parties à signer un accord incluant un dialogue Kinshasa-M23. Kigali affirme que la délégation congolaise refuse toute mention d’un tel dialogue.

27 juin 2025 : signature à Washington d’un accord de paix séparant deux volets : Kinshasa-Kigali et Kinshasa-AFC/M23. Deux semaines plus tard, un dispositif économique est repoussé par la RDC, bloquant la dynamique.

9 octobre 2025 : Félix Tshisekedi saisit la scène bruxelloise pour relancer, publiquement, l’option d’une entente directe avec Paul Kagame.

Acteurs

Félix Tshisekedi mène une diplomatie de tribune, misant sur le poids de l’opinion internationale pour accroître la pression sur Kigali. Il parie sur un soutien renforcé de l’Union africaine, de Washington et de l’Europe pour dissocier le Rwanda de l’AFC/M23.

Paul Kagame défend la lecture rwandaise : deux crises, donc deux processus. Kigali soutient que l’arrêt des hostilités relève d’abord de discussions internes entre Kinshasa et l’AFC/M23, ce qui rend caduque, selon lui, toute injonction présidentielle.

João Lourenço, facilitateur reconnu par l’UA, demeure clé. Malgré l’impasse de décembre 2024, Luanda reste, pour Tshisekedi, la référence d’un cadre presque abouti.

Scénarios

Premier scénario, la main tendue de Bruxelles ouvre un espace de négociation confidentialisé, conduisant Kigali à user de son influence sur l’AFC/M23 pour obtenir un cessez-le-feu, permettant la relance du volet économique de Washington.

Second scénario, la posture duale de Kigali perdure : le M23 consolide son emprise, Kinshasa renforce ses alliances régionales et internationales, et la dimension économique reste gelée, accentuant les souffrances civiles et la fragmentation sécuritaire.

Troisième scénario, l’Union africaine ressuscite le processus de Luanda, sous l’impulsion de Lourenço, et obtient la signature d’un accord unique englobant sécurité et développement, répondant aux exigences des deux capitales.

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Jean-Baptiste Ngoma est éditorialiste économique. Diplômé en économie appliquée, il suit les grandes tendances du commerce intra-africain, les réformes structurelles, les dynamiques des zones de libre-échange et les flux d’investissements stratégiques. Il décrypte les enjeux macroéconomiques dans une perspective diplomatique et continentale.