Coup de force à Antananarivo : l’UA suspend Madagascar

Jean-Baptiste Ngoma
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Ce qu’il faut retenir

En quinze lignes d’un communiqué lapidaire, le Conseil paix et sécurité de l’Union africaine (CPS) a suspendu Madagascar de toutes ses activités institutionnelles, jugeant « inacceptable » la prise de pouvoir par les militaires (communiqué du CPS de l’UA du 15 octobre). La SADC a aussitôt annoncé une mission conduite par l’ancienne présidente malawite Joyce Banda, tandis que Bruxelles appelle à un « dialogue inclusif » (Service européen d’action extérieure, 15 octobre).

Contexte

Madagascar traverse depuis deux décennies une instabilité chronique où alternent élections contestées et interventions de casernes. Le précédent coup d’État de 2009, conduit par Andry Rajoelina, avait déjà valu à la Grande Île une suspension de l’UA. Cet historique éclaire la rapidité avec laquelle Addis-Abeba a brandi sa doctrine de tolérance zéro vis-à-vis des changements anticonstitutionnels.

Depuis 2020, le CPS a multiplié les rappels à l’ordre, du Mali au Soudan, afin d’éviter un effet domino. La Charte africaine de la démocratie, adoptée en 2007, fait désormais figure de boussole normative. En se prononçant sans attendre une médiation interne, l’UA veut barrer la route à toute légitimation de la junte malgache.

Calendrier

Dès l’aube du 14 octobre, des éléments des Forces armées malgaches ont pris le contrôle du palais d’État à Antananarivo, plaçant le président par intérim en résidence surveillée. Le lendemain, le CPS se réunissait en urgence à Addis-Abeba et adoptait la suspension avec effet immédiat.

Le 16 octobre, la SADC publiait un communiqué « alarmé », annonçant une délégation de haut niveau chargée de « faciliter un retour rapide à l’ordre constitutionnel ». L’UA a invité ses services politiques à se joindre à la mission régionale pour garantir la cohérence des messages. Bruxelles, elle, maintient sa position d’observation active avant tout réexamen de son aide budgétaire.

Acteurs

Le CPS, présidé ce mois-ci par la République du Congo, a orchestré la réponse africaine. Brazzaville, qui revendique une diplomatie de stabilité, veille à éviter toute escalade qui perturberait l’agenda continental sur la Zone de libre-échange africaine.

La SADC, organisation de proximité, mise sur l’autorité morale de Joyce Banda pour convaincre la junte de céder le pouvoir à un exécutif civil transitoire. Parallèlement, le Secrétariat de la Communauté de l’Afrique de l’Est, récemment élargi, observe l’évolution des discussions avec intérêt, redoutant des répercussions sur les couloirs maritimes de l’océan Indien.

L’Union européenne, premier bailleur de l’île, soutient des programmes de santé, de nutrition et de développement rural chiffrés à 7 millions d’euros pour 2025. Son dilemme consiste à maintenir l’aide humanitaire sans paraître cautionner un pouvoir issu des armes. Cette prudence se reflète dans les propos d’Anouar el Anouni, porte-parole de l’EEAS, évoquant la « spéculation » entourant la qualification de coup d’État.

Scénarios

Trois issues dominent les analyses de chancelleries africaines. Le premier scénario, jugé souhaitable par l’UA, combine un gouvernement civil de transition, un calendrier électoral compris entre six et douze mois et un retrait complet des militaires du champ politique.

Un second scénario, plus incertain, verrait la junte conserver la tutelle sécuritaire en laissant à un Premier ministre civil le soin de gérer le quotidien. Cette formule, testée au Soudan entre 2019 et 2021, s’était soldée par de nouvelles tensions. Addis-Abeba souligne donc le risque de répétition.

Enfin, la tentation du fait accompli pourrait pousser les putschistes à organiser une élection sous contrôle militaire pour se légitimer. Dans ce cas, l’UA promet des sanctions ciblées, gel des avoirs et interdictions de voyage, assorties d’une campagne diplomatique pour empêcher toute reconnaissance internationale.

À Antananarivo, la société civile commence déjà à s’organiser autour du Conseil œcuménique des Églises, médiateur respecté depuis la crise de 2002. Son influence pourrait peser sur l’élaboration d’une charte de transition intégrant les partis politiques marginalisés.

Une chose est acquise : la suspension prononcée par l’UA, si elle n’est pas levée rapidement, privera Madagascar des réunions de haut niveau sur le climat prévues avant la COP 30. Cela pourrait retarder des financements verts indispensables à la lutte contre la sécheresse dans le Grand Sud, renforçant la pression interne pour un compromis rapide.

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Jean-Baptiste Ngoma est éditorialiste économique. Diplômé en économie appliquée, il suit les grandes tendances du commerce intra-africain, les réformes structurelles, les dynamiques des zones de libre-échange et les flux d’investissements stratégiques. Il décrypte les enjeux macroéconomiques dans une perspective diplomatique et continentale.