CPI : El-Fasher, un test pour la justice internationale

Jean-Baptiste Ngoma
6 mn de lecture

Ce qu’il faut retenir

La prise d’El-Fasher le 26 octobre par les Forces de soutien rapide a plongé la capitale du Darfour-Nord dans un blackout total. La Cour pénale internationale estime que les atrocités rapportées pourraient constituer des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, ouvrant la voie à de possibles poursuites internationales.

Contexte juridique : la CPI en première ligne

Le bureau du procureur de La Haye a averti le 3 novembre que massacres, viols et détentions massives signalés à El-Fasher relèvent potentiellement de sa compétence. Une telle qualification rappelle les précédents dossiers du Darfour traités par la CPI depuis 2005, et réactive le débat sur l’effectivité de la justice pénale internationale dans les conflits africains.

En soulignant la possible responsabilité individuelle des commandants des Forces de soutien rapide, la CPI adresse un message de dissuasion. Elle laisse également entendre que les autorités soudanaises, signataires du Statut de Rome, restent tenues de coopérer malgré la guerre ouverte entre le général al-Burhan et le général Hemedti.

Témoignages d’une catastrophe humanitaire en cours

Privée de télécommunications, El-Fasher n’est plus qu’un champ de ruines selon les récits recueillis par l’AFP. L’Organisation internationale pour les migrations chiffre à 70 000 le nombre de personnes ayant réussi à fuir, quand des dizaines de milliers demeurent piégées dans une ville décrite comme « apocalyptique » par le ministre allemand Johann Wadephul.

Les Forces de soutien rapide interceptent les civils en fuite, confisquent véhicules et téléphones, puis renvoient ou kidnappent leurs passagers. Le Réseau des médecins soudanais parle de milliers de détenus répartis dans des geôles improvisées. Un rescapé, gardant l’anonymat, raconte avoir été entassé avec 200 personnes dans une école, « battus, insultés, nourris une fois par jour ».

Port-Soudan : l’option terroriste sur la table

Depuis leur exil administratif sur la côte de la mer Rouge, les autorités loyales au général al-Burhan demandent à nouveau que les FSR soient classées organisation terroriste. Dans un communiqué diffusé à Paris, l’ambassade soudanaise dénonce « opérations de nettoyage ethnique » et « massacres de civils » imputés aux paramilitaires.

La démarche n’est pas nouvelle : dès 2023, Khartoum sollicitait l’ONU pour une telle désignation. Mais les récents événements donnent un relief supplémentaire à cette requête, en reliant juridiquement les exactions d’El-Fasher à un régime de sanctions plus contraignant que les mesures déjà imposées à deux cadres des FSR en mai 2024 par le Trésor américain.

Réactions internationales embryonnaires

Pour la première fois, la commission des Affaires étrangères du Sénat américain vient d’inviter le département d’État à examiner la classification terroriste des FSR. Les élus estiment que l’attaque « prédite de longue date » contre la population d’El-Fasher exige une réponse exemplaire afin de protéger les civils et d’assécher les financements de la milice.

L’écho reste pourtant mesuré au Conseil de sécurité des Nations unies. Les grandes puissances cherchent un équilibre entre condamnation des atrocités et crainte d’un vide sécuritaire si les paramilitaires étaient marginalisés sans solution politique inclusive. Cette prudence nourrit l’impunité perçue sur le terrain.

Acteurs et rapports de force

Le général Mohamed Hamdan Dagalo, dit Hemedti, capitalise sur quinze mois de campagne militaire ayant élargi l’emprise des FSR au-delà du Darfour. Face à lui, le général Abdel Fattah al-Burhan conserve la légitimité institutionnelle mais peine à rétablir l’ordre. Entre les deux, organisations humanitaires et populations restent otages d’un bras de fer asymétrique.

Les médecins soudanais, l’OIM et l’AFP constituent les rares canaux d’information fiables depuis le blackout. Leur documentation pourrait servir de pièces au dossier de la CPI, contribuant à l’établissement de la chaîne de commandement et à la qualification des faits.

Calendrier d’un siège devenu assaut

Le siège d’El-Fasher a duré dix-huit mois. Le 26 octobre marque la percée décisive des FSR, suivie d’une vague immédiate d’exactions selon les témoins. Le 3 novembre, la CPI se saisit publiquement de la question. Le 7 novembre, des sénateurs américains relaient la demande de désignation terroriste. Chaque étape rapproche le dossier d’une action multilatérale contraignante.

Scénarios de sortie de crise

Le premier scénario, souhaité par Port-Soudan, voit la communauté internationale sanctionner les FSR, couper leurs circuits financiers et isoler leurs chefs. Sans engagement militaire des alliés, son efficacité reste incertaine, mais il pourrait réduire la capacité d’achat d’armes.

Le second scénario privilégie une médiation associant armée régulière, FSR et acteurs civils. La menace de poursuites de la CPI servirait alors de levier pour pousser chaque camp à la table. Faute de télécommunications, la vérification des cessez-le-feu demeurerait toutefois un défi majeur.

Partager l'article
Jean-Baptiste Ngoma est éditorialiste économique. Diplômé en économie appliquée, il suit les grandes tendances du commerce intra-africain, les réformes structurelles, les dynamiques des zones de libre-échange et les flux d’investissements stratégiques. Il décrypte les enjeux macroéconomiques dans une perspective diplomatique et continentale.