Ce qu’il faut retenir
En votant la prolongation d’un an de la Mission d’enquête sur les violations des droits de l’homme au Soudan, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU confirme que l’option judiciaire reste au cœur de la réponse internationale. Khartoum, qui a voté contre, se retrouve plus isolé que jamais dans un conflit qui ne cesse de s’étendre.
Au Darfour, le siège d’El-Fasher dure depuis près d’un an et demi et oblige déjà 400 000 personnes à fuir vers des zones plus précaires. Au Kordofan, au centre du pays, les Forces de soutien rapide (FSR) et l’armée régulière multiplient les attaques, frappant même un hôpital selon le document onusien.
Un mandat prolongé d’un an
Le texte adopté le 6 octobre condamne l’« escalade de la violence incessante » dans la capitale nord-darfourie ainsi que l’offensive contre les camps de déplacés de Zam Zam et Abou Shouk. Il renforce, pour douze mois supplémentaires, la capacité des enquêteurs à collecter preuves, témoignages et images sur le terrain.
« En documentant les crimes commis par toutes les parties, la Mission d’enquête contribue à garantir que la responsabilité reste au cœur de toute solution durable au conflit soudanais », souligne Hassan Shire, directeur exécutif de l’ONG est-africaine DefendDefenders, saluant une décision qui préserve l’espace de la justice internationale.
El-Fasher, une cité sous étouffoir
À El-Fasher, l’étau humanitaire se resserre chaque semaine un peu plus. Les stocks alimentaires fondent tandis que les couloirs d’assistance demeurent bloqués par les combats. La faim menace des milliers d’habitants, notamment les familles déjà déplacées lors des vagues antérieures de violence au Darfour.
Les camps voisins, Zam Zam et Abou Shouk, symboles d’un exil forcé vieux de deux décennies, subissent de nouvelles incursions. La fuite des 400 000 personnes recensées complique toute réponse logistique. Les agences onusiennes alertent, mais l’accès sécurisé reste quasi impossible dans une ville encerclée par des lignes de front mouvantes.
Cette pression constante nourrit le risque de déplacements massifs vers des régions déjà fragiles. Pour la Mission d’enquête, la situation d’El-Fasher demeure un baromètre de la gravité du conflit, justifiant la nécessité d’une présence prolongée pour photographier et archiver chaque violation.
Kordofan à vif
Plus au centre, la recrudescence des affrontements au Kordofan confirme l’extension géographique des hostilités. Les FSR auraient attaqué plusieurs villages du nord de la région tandis que l’armée aurait mené des frappes sur l’hôpital Al-Mujlad, dans l’ouest, ajoute le texte onusien.
Les témoins interrogés par la Mission décrivent un cycle d’attaques croisées détruisant les infrastructures civiles, accentuant un sentiment de vulnérabilité. La persistance des hostilités à des centaines de kilomètres du Darfour consacre le caractère national de la crise et complique tout cessez-le-feu localisé.
Des crimes déjà consignés
Dans son premier rapport, rendu public en septembre 2025, la Mission avait qualifié de crimes de guerre les exactions commises par les deux camps, attribuant en outre aux FSR des actes relevant de crimes contre l’humanité. Ce constat place les commanditaires des violences sous une lumière juridique qui pourrait, à terme, être exploitée par des juridictions internationales ou nationales.
La prolongation du mandat signifie que ces dossiers ne dormiront pas sur des étagères. Le Conseil entend ainsi empêcher la destruction d’éléments matériels, faciliter la préservation des chaînes de commandement et protéger les témoins, autant d’étapes cruciales pour d’éventuels procès.
Un vote qui isole Khartoum
Lundi 6 octobre, la délégation soudanaise a rejeté la résolution, sans pour autant rassembler une coalition suffisante pour bloquer le texte. Ce vote négatif, isolé, souligne la distance grandissante entre les autorités de Khartoum et une communauté internationale unanime sur la nécessité d’établir les responsabilités.
Le gouvernement soudanais redoute l’effet boomerang de preuves irréfutables. Refuser la prolongation, c’était aussi envoyer un signal politique interne, mais la manœuvre n’a pas pesé face au front formé par les autres membres du Conseil des droits de l’homme.
Responsabilité et pression internationale
Pour les défenseurs des droits humains, la résolution représente un garde-fou indispensable tandis que les négociations de cessez-le-feu piétinent. Maintenir la documentation, c’est s’assurer qu’aucune partie ne puisse échapper au regard du droit, explique Hassan Shire dans son communiqué saluant un vote « historique ».
L’outil juridique sert aussi de levier diplomatique. En rappelant que les crimes de guerre n’expirent pas, la Mission d’enquête met la pression sur les commandements militaires et encourage des concessions sur le terrain humanitaire, en particulier à El-Fasher et dans les hameaux du Kordofan.
Perspectives d’une justice attendue
Le prolongement d’un an n’est pas une fin en soi, reconnaissent juristes et humanitaires. Il ouvre une fenêtre temporelle pour approfondir les enquêtes et structurer les preuves, mais sa réussite dépendra de l’accès sécurisé et du financement. Sans coopération minimale des autorités soudanaises, l’exercice demeurera semé d’obstacles.
En dépit des risques, le Conseil des droits de l’homme parie sur la ténacité des enquêteurs et la montée d’une conscience internationale qui ne se résigne pas. Dans un environnement conflictuel mouvant, la constatation méthodique des abus reste le préalable incontournable à toute reconstruction pacifique et à la réconciliation des communautés soudanaises.
