Crise malgache : l’emballement des influenceurs pro-AES

Jean-Baptiste Ngoma
5 mn de lecture

Ce qu’il faut retenir

En quelques heures, l’annonce télévisée du colonel Michael Randrianirina a fait basculer Madagascar dans les fils d’actualité d’une nébuleuse d’influenceurs panafricains. Pour ces activistes du clavier, souvent proches de l’Alliance des États du Sahel, l’île devient un nouveau front symbolique contre l’« ordre néocolonial ».

L’emballement ne signifie pas adhésion unanime. Dans leurs commentaires, ces relais numériques oscillent entre triomphalisme putschiste et attente circonspecte, soucieux de savoir si la junte malgache s’alignera sur les postures anti-occidentales de Bamako, Ouagadougou et Niamey ou restera pragmatique.

Contexte régional de tensions

Depuis les ruptures politiques au Mali, au Burkina Faso puis au Niger, la sphère pro-AES a perfectionné une grammaire de mobilisation qui conjugue patriotisme africain, dénonciation de Paris et valorisation d’un partenariat militaire avec Moscou. L’irruption d’une crise à Antananarivo offre à ces acteurs un terrain neuf, hors du théâtre sahélien, pour tester la portée continentale de leur influence.

Genèse du mot-dièse #MadagascarMilitary

La séquence numérique démarre le 24 septembre avec le live diffusé depuis les États-Unis par un blogueur burkinabè. Sa retransmission en direct de la déclaration du colonel Randrianirina atteint près de cent mille vues en quatre heures, selon les métriques agrégées par la plateforme SocialBlade.

Dès le lendemain, le mot-dièse #MadagascarMilitary monte en tendance sur X et TikTok. Des comptes installés à Bamako, Niamey, mais aussi Johannesburg et Bruxelles multiplient les reprises de la vidéo, accompagnées de montages musicaux et de slogans « Souveraineté d’abord ».

Réseaux russes et relais africains

Les observateurs de l’Atlantic Council relèvent qu’une partie des comptes, actifs lors des campagnes pro-Wagner au Sahel, se retrouve dans la conversation malgache, avec des éléments visuels typiques : drapeaux russes, références au panafricanisme de Patrice Lumumba et hashtags en cyrillique.

Le financement de ces productions reste difficile à tracer. Des spécialistes du site AllEyesOnWagner rappellent que « la logistique est souvent externalisée à des micro-agences africaines dont le modèle économique repose sur la monétisation publicitaire et des dotations discrètes venues de Saint-Pétersbourg ».

Tonalités divergentes au sein de la galaxie pro-AES

Si l’euphorie domine dans les premières heures, plusieurs voix pondèrent rapidement l’enthousiasme. Un créateur de contenu nigérien avertit que « sans clarté sur la durée de la transition, il est prématuré de parler de victoire ». D’autres s’interrogent sur l’absence de déclaration explicite contre la présence française, encore marginale à Madagascar mais symboliquement centrale dans leur narratif.

Calculs géopolitiques autour de l’île Rouge

Antananarivo occupe une position stratégique dans l’océan Indien, corridor maritime incontournable pour les flux énergétiques. Cette donnée n’échappe pas aux influenceurs, qui évoquent déjà « l’encerclement de Paris » si Madagascar rejoignait l’axe Bamako-Ouagadougou-Niamey. L’hypothèse séduit une partie de l’opinion panafricaine mais suscite la méfiance de diplomates régionaux, attentifs aux équilibres avec l’Inde et les pays riverains de la SADC.

Le gouvernement congolais, qui prône la stabilité institutionnelle en Afrique centrale, observe de loin ces recompositions numériques sans prendre position. Brazzaville privilégie, pour l’heure, le respect des canaux multilatéraux de l’Union africaine afin d’éviter l’effet domino dans la sous-région.

Calendrier des prochaines étapes

La junte malgache a annoncé la tenue d’assises nationales dans un délai de trois mois, sans préciser de date électorale. Ce flou nourrit la bataille de récits en ligne : chaque report potentiel sera interprété, amplifié, puis réinjecté dans la matrice argumentative des influenceurs, alimentant un cycle de mobilisation continue.

Regards d’experts sur la viralité

Pour Anouar Benbekhti, chercheur à l’Université de Pretoria, « la singularité de Madagascar tient à son éloignement géographique du Sahel ; voir la même rhétorique s’y déployer témoigne d’une professionnalisation de ces réseaux, capables d’adapter leurs codes à des contextes disparates ». Il souligne toutefois la résilience des contre-discours locaux, portés par la société civile malgache.

Scénarios d’évolution et marges de manœuvre

Trois trajectoires se dessinent. Premièrement, une transition courte, rapidement légitimée par un scrutin, réduirait la fenêtre d’influence des activistes pro-AES. Deuxièmement, un enlisement institutionnel fournirait un terreau long terme à leur propagande, avec le risque d’une bascule vers des partenariats sécuritaires non occidentaux.

Enfin, un scénario hybride verrait la junte ménager ses options, dialoguant avec Paris tout en laissant flotter le drapeau russe dans la sphère numérique. Dans les trois cas, la bataille de l’opinion en ligne restera un champ stratégique déterminant pour l’image de Madagascar sur la scène internationale.

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Jean-Baptiste Ngoma est éditorialiste économique. Diplômé en économie appliquée, il suit les grandes tendances du commerce intra-africain, les réformes structurelles, les dynamiques des zones de libre-échange et les flux d’investissements stratégiques. Il décrypte les enjeux macroéconomiques dans une perspective diplomatique et continentale.