Doha décrypte la paix à l’Est de la RDC : cinq voies, un même défi

Jean-Baptiste Ngoma
6 mn de lecture

Ce qu’il faut retenir

La médiation qatarie réunit à Doha le gouvernement congolais et l’AFC-M23 autour d’un cessez-le-feu vérifié depuis le 14 octobre 2025. Un rapport du Center on International Cooperation, rédigé avec le Groupe d’étude sur le Congo, anticipe cinq trajectoires possibles, du désarmement complet du mouvement rebelle à une autonomie temporaire des zones en conflit.

Contexte historique et dynamique régionale

Depuis trois décennies, le Nord-Kivu et l’Ituri demeurent l’épicentre d’une violence nourrie par des rivalités identitaires, l’économie des minerais et les interventions de puissances voisines. Les FARDC, l’AFC-M23 et divers groupes armés se disputent l’autorité, tandis que Kinshasa dénonce l’appui militaire présumé de Kigali au M23, un point que le rapport traite avec prudence.

La médiation du Qatar, un atout inédit

L’implication de Doha, sollicitée par l’Union africaine et saluée par les capitales d’Afrique centrale, introduit un acteur hors du théâtre des Grands Lacs, capable de fournir facilitation logistique et garanties financières. Le mécanisme de vérification du cessez-le-feu, adopté le 14 octobre, marque un premier jalon pour instaurer la confiance avant l’échange de prisonniers.

Cinq scénarios au prisme du rapport

Première hypothèse : capitulation militaire et désarmement total de l’AFC-M23, jugée peu probable sans pression soutenue sur ses soutiens extérieurs. Deuxième option : réintégration des combattants dans les FARDC avec amnistie partielle. Troisième piste : démobilisation suivie d’un programme DDR intensif. Quatrième voie : autonomie temporaire de certains territoires. Cinquième, et la plus équilibrée, combine retrait rwandais, affaiblissement du M23 et lancement d’un processus politique inclusif.

Une autorité spéciale pour le Kivu et l’Ituri

Le scénario cinq prévoit la création d’une Autorité spéciale de stabilisation, dotée d’un mandat de cinq ans pour coordonner sécurité, justice transitionnelle et développement. Inspirée des expériences colombienne et philippine, cette entité serait cogérée par Kinshasa, la société civile locale et des partenaires multilatéraux, tout en offrant à l’AFC-M23 des postes limités de commandement au niveau provincial.

Des freins puissants à l’horizon

Le rapport souligne que certains acteurs rwandais, congolais et rebelles tirent profit d’une économie de guerre qui échappe à toute reddition de comptes. Réformes de la chaîne d’approvisionnement minier, lutte contre les groupes d’autodéfense et lutte anti-corruption figurent parmi les coûts politiques d’une paix durable. D’où la tentation, pour certains négociateurs, de gagner du temps.

Le rôle attendu de l’Union africaine et de la CEMAC

Si l’Union africaine demeure garante du cadre continental, la Communauté économique des États de l’Afrique centrale peut offrir un soutien technique, notamment pour la mise en œuvre des programmes DDR. Brazzaville, qui assure la présidence tournante du Conseil de paix et de sécurité de l’UA, défend une approche concertée et inclusive, évitant toute ingérence perçue.

Calendrier des prochaines étapes diplomatiques

Après l’échange de prisonniers, la table ronde de Doha doit aborder les causes structurelles du conflit, parmi lesquelles la gouvernance foncière, la représentation politique des communautés et la traçabilité des minerais. Les médiateurs ambitionnent un accord-cadre avant la fin du premier trimestre 2026, suivi d’une conférence des bailleurs pour financer le fonds de stabilisation.

Acteurs clés et leviers de pression

Outre Kigali et Kinshasa, Kampala, Luanda et Dar es-Salaam observent de près les discussions, leurs corridors commerciaux dépendant de la sécurité régionale. Washington et Bruxelles pourraient conditionner leur aide budgétaire au respect du cessez-le-feu, tandis que Pékin privilégie la continuité de l’exploitation minière, quel que soit le scénario final.

Scénarios d’issue et risques résiduels

Le désarmement forcé risquerait de disperser les combattants vers de nouvelles insurrections locales. L’autonomie temporaire pourrait, elle, créer un précédent contesté par d’autres provinces. L’option d’une Autorité spéciale combine gouvernance partagée, développement ciblé et garanties de sécurité, mais dépend d’un engagement financier international soutenu et d’une réelle volonté politique.

Enjeux pour la diplomatie multilatérale

Le rapport insiste sur la coordination entre ONU, UA et organisations régionales pour éviter la fragmentation de l’aide. L’alignement des cadres de sanctions, la rationalisation des missions de paix et la réforme des FARDC constituent les piliers techniques d’une stratégie à long terme. Sans cet alignement, même le meilleur des scénarios pourrait se heurter à la résilience des réseaux économiques armés.

Vers un compromis crédible ?

À Doha, l’heure n’est pas à l’euphorie mais à la lucidité. La paix est possible si un paquet incitatif associe garanties de sécurité, représentation politique et dividendes économiques. L’implication continue du Qatar, le soutien discret des capitales d’Afrique centrale et la pression d’une opinion congolaise lasse des violences peuvent encore transformer un scénario théorique en feuille de route opérationnelle.

Partager l'article
Jean-Baptiste Ngoma est éditorialiste économique. Diplômé en économie appliquée, il suit les grandes tendances du commerce intra-africain, les réformes structurelles, les dynamiques des zones de libre-échange et les flux d’investissements stratégiques. Il décrypte les enjeux macroéconomiques dans une perspective diplomatique et continentale.