El-Fasher assiégée : l’ONU réclame un corridor humanitaire

Jean-Baptiste Ngoma
6 mn de lecture

Ce qu’il faut retenir

La bataille d’El-Fasher cristallise la guerre civile soudanaise. Les Forces de soutien rapide (RSF) revendiquent la capture du quartier général de l’armée, tandis que Khartoum dément toute déroute. Environ 250 000 civils sont encerclés et coupés des vivres. L’ONU et Washington multiplient les appels à un corridor sécurisé pour éviter une catastrophe humanitaire (BBC, communiqué OCHA).

El-Fasher, épicentre d’une crise prolongée

Depuis dix-huit mois, la capitale du Nord-Darfour vit au rythme des tirs d’artillerie et des frappes aériennes. Dernière ville stratégique tenue par les forces gouvernementales dans l’Ouest, elle commande les axes vers la Libye, le Tchad et le Sud-Soudan. Sa chute offrirait aux RSF la continuité territoriale nécessaire à l’établissement d’une administration rivale.

Appel pressant de l’ONU pour un corridor sécurisé

Le secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires, Tom Fletcher, s’est déclaré « profondément alarmé » par les victimes civiles et l’isolement de la ville. Il réclame « un passage sûr et un accès immédiat à l’aide ». L’agence onusienne craint famine, épidémies et déplacements massifs si l’offensive se poursuit sans trêve (déclaration OCHA, 26 mai 2024).

Les forces en présence et la bataille de perception

Des vidéos authentifiées montrent des combattants RSF célébrant devant l’état-major local. Le commandement de l’armée, absent des réseaux sociaux, s’appuie sur des milices tribales alliées pour défendre les quartiers nord. Les échanges d’artillerie se poursuivent, particulièrement autour de l’hôpital saoudien et de la route d’Om Dafuq, coupant les voies d’évacuation vers le Tchad.

Contexte régional et diplomatie africaine

Le conflit soudanais, déclenché en avril 2023 par la rupture entre le général Abdel Fattah al-Burhan et le général Mohamed Hamdan Daglo, a déjà provoqué plus de 150 000 morts et 12 millions de déplacés internes (ONU). L’Union africaine, soutenue par l’IGAD, tente de relancer le Processus de Jeddah, sans progrès notable depuis janvier.

Washington relance l’option cessez-le-feu

Le département d’État américain affirme travailler à « un accord de cessation des hostilités qui garantisse l’accès humanitaire ». Des émissaires sont attendus à Addis-Abeba pour convaincre les parties de revenir autour de la table. Toutefois, la perspective d’une victoire militaire rapide à El-Fasher réduit l’incitation des RSF à négocier, notent plusieurs analystes africains cités par l’ISS.

Une crise humanitaire à très haute intensité

La ville est encerclée par un rempart de terre érigé par les RSF, entravant l’acheminement de nourriture. Les réserves de farine et de carburant sont au plus bas, et les puits, contaminés par les combats urbains, provoquent des cas de choléra. Médecins sans frontières évoque « un hôpital saturé, incapable de gérer l’afflux quotidien de blessés ».

Calendrier des prochaines semaines

Les RSF ont annoncé vouloir installer une administration civile provisoire d’ici à fin juin si elles consolident leur emprise. L’armée, elle, promet un « contre-assaut décisif » dès que des renforts venus d’Atbara auront franchi le Nil. Entre-temps, la saison des pluies, attendue mi-juillet, risque de compliquer toute manœuvre militaire d’envergure.

Acteurs clés et marges de manœuvre

Outre les deux généraux rivaux, les chefs tribaux zaghawa et fur jouent un rôle déterminant dans le contrôle des quartiers. Le Programme alimentaire mondial coordonne avec eux des distributions de vivres en dehors des lignes de front. Le Qatar, médiateur discret, a accueilli fin mai des consultations informelles, sans confirmation officielle des délégations.

Scénarios d’évolution du conflit

Trois trajectoires se dessinent. Premier scénario : la prise complète d’El-Fasher par les RSF, ouvrant la voie à un gouvernement parallèle et à la partition de facto du pays. Deuxième : un statu quo militaire, mais une détérioration humanitaire accélérée. Troisième : un cessez-le-feu engrangé sous pression internationale, relançant des pourparlers inclusifs à Nairobi.

Regards depuis Brazzaville

Membre du Conseil paix et sécurité de l’UA jusqu’en 2025, la République du Congo soutient la médiation africaine, sans parti pris. Le ministre congolais des Affaires étrangères, Jean-Claude Gakosso, a rappelé que « la contagion des crises appelle une solidarité continentale accrue ». Brazzaville pourrait accueillir un séminaire sur les corridors humanitaires si l’UA en fait la demande.

Quel impact pour la sécurité régionale ?

La chute éventuelle d’El-Fasher renforcerait le couloir transfrontalier entre le Darfour et le sud libyen, zone déjà marquée par la contrebande d’armes et de carburant. Les États du Golfe de Guinée, engagés dans la lutte contre la piraterie, suivent l’évolution de cette route qui irrigue désormais certains réseaux criminels côtiers, selon le rapport 2024 de l’UNODC.

Derniers messages de l’ONU aux belligérants

Tom Fletcher conclut son plaidoyer en soulignant que le droit international humanitaire « n’est pas négociable ». Il exhorte les parties à autoriser immédiatement un cessez-le-feu temporaire pour permettre l’évacuation des blessés les plus graves. Le temps presse et, faute d’accord rapide, El-Fasher pourrait devenir le symbole d’une faillite collective du système multilatéral.

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Jean-Baptiste Ngoma est éditorialiste économique. Diplômé en économie appliquée, il suit les grandes tendances du commerce intra-africain, les réformes structurelles, les dynamiques des zones de libre-échange et les flux d’investissements stratégiques. Il décrypte les enjeux macroéconomiques dans une perspective diplomatique et continentale.