Élargissement des BRICS : Égypte et Éthiopie redéfinissent l’influence africaine

L’entrée de l’Égypte et de l’Éthiopie dans les BRICS renforce la présence africaine, mais les rivalités internes compromettent la capacité du continent à transformer cette avancée symbolique en influence réelle.

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L’intégration de l’Égypte et de l’Éthiopie au sein des BRICS début 2024 a bouleversé la géométrie du groupe autant que le calcul diplomatique africain. Leur accession porte à trois le nombre d’États africains à la table des BRICS, une pluralité sans équivalent dans la coalition, susceptible d’amplifier la voix du continent dans les débats sur la gouvernance mondiale.

Lignes de fracture émergentes dans un bloc élargi

L’inclusion, cependant, ne garantit pas l’unité. Lors de la réunion ministérielle des 28-29 avril 2025 à Rio de Janeiro, l’adhésion élargie n’a pas permis de dégager un communiqué commun : l’Égypte et l’Éthiopie ont rejeté une formulation qui désignait l’Afrique du Sud comme unique candidate africaine à un siège permanent au Conseil de sécurité. Faute de compromis, la présidence brésilienne s’est bornée à publier un résumé dégradé, révélant la rapidité avec laquelle les rivalités intra-africaines peuvent paralyser le consensus. La tension s’est accrue le 20 mai 2025 lorsque les mêmes capitales ont récusé le projet de texte du sommet de juillet, exigeant que la représentation africaine soit réglée collectivement par l’Union africaine. Ces épisodes illustrent la frontière ténue entre représentation accrue et diplomatie fragmentée au cœur de la nouvelle configuration des BRICS.

Opportunités pour l’action diplomatique africaine

Pour les chancelleries africaines, cette configuration offre néanmoins un levier tangible. L’Égypte dispose d’un capital diplomatique considérable, médiatrice à la croisée des sphères arabe et africaine, tandis que l’Éthiopie apporte le prestige institutionnel lié à l’accueil de l’Union africaine et une tradition d’activisme multilatéral préservée malgré le récent conflit civil. Les deux gouvernements voient dans le bloc une plateforme de diversification économique alors que les financements concessionnels se resserrent et que les bailleurs traditionnels durcissent leurs conditionnalités. L’engagement croissant de la Nouvelle Banque de Développement en faveur des infrastructures africaines, via des fenêtres de prêts en monnaie locale, confère un poids financier concret à cette aspiration.

Diversification financière et dédollarisation

La diversification monétaire est au cœur de la stratégie. Le résumé de Rio a appelé à un recours accru aux monnaies locales dans les règlements entre membres. Cette perspective concerne directement Le Caire, dont le déficit commercial avec les partenaires BRICS dépasse encore 25 milliards de dollars, et Addis-Abeba, dont l’économie dépendante des importations peine à accéder aux devises. La dédollarisation—qu’il s’agisse de lignes de swap bilatérales, de plates-formes régionales de paiement ou d’une future unité de compte BRICS—offre aux trésors africains une couverture contre la volatilité du dollar et une relative protection contre les sanctions secondaires. L’efficacité de ces instruments dépendra toutefois de la crédibilité des réformes macroéconomiques nationales et de la capacité de gouvernance, encore à l’épreuve, des mécanismes financiers des BRICS.

Contraintes structurelles et alignements divergents

La diversité qui confère à l’Afrique un poids numérique multiplie également les points de veto au sein d’une architecture fondée sur le consensus. Les orientations stratégiques divergent : coopération sécuritaire continue du Caire avec Washington, non-alignement revendiqué de Pretoria, resserrement des liens d’Addis-Abeba avec Ankara, Pékin et Moscou. Ces divergences compliquent l’élaboration d’une position africaine cohérente sur les conflits allant d’Ukraine à la mer Rouge. À court terme, les pressions fiscales internes en Égypte et en Éthiopie pourraient favoriser un marchandage mercantiliste au sein des BRICS, au détriment de l’engagement déclaré du continent envers la Zone de libre-échange continentale africaine.

Interface avec l’Union africaine

Bien que les trois membres se réclament du Consensus d’Ezulwini, les contestations récentes sur la réforme du Conseil de sécurité montrent que les ambitions nationales au sein des BRICS peuvent dépasser les délibérations de l’UA. À moins que le trio ne fasse avancer un programme mandaté par l’UA—par exemple via des rapports réguliers au Conseil Paix et Sécurité—l’Afrique risque de perdre la légitimité que lui confère une diplomatie collective et d’exposer ses lignes de faille aux acteurs extérieurs.

Pistes stratégiques

Un mécanisme permanent de consultation trilatérale pourrait aider Le Caire, Addis-Abeba et Pretoria à concilier leurs lignes rouges avant qu’elles n’atteignent le niveau ministériel. Un dialogue transparent avec les États africains non membres des BRICS préviendrait la perception d’un caucus d’élites et alignerait les initiatives des BRICS sur les priorités continentales, telles que l’Agenda 2063. Enfin, un échange soutenu avec les partenaires de longue date, notamment l’Union européenne et les États-Unis, permettrait de convertir le levier BRICS en accords plus larges plutôt qu’en choix binaires, renforçant l’agence africaine dans un ordre mondial toujours plus plural.

Que les BRICS élargis deviennent ou non un levier pour un système international plus inclusif dépendra de la discipline politique dont feront preuve leurs membres africains. Si l’Égypte, l’Éthiopie et l’Afrique du Sud transforment leur présence numérique en agenda stratégique cohérent, le continent pourra convertir sa représentation en influence réelle. Faute de quoi, l’Afrique risque de reproduire, au sein même des BRICS, la marginalisation qu’elle cherche à surmonter ailleurs.

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