Face-à-face décisif à Antananarivo: Paris dévoile ses cartes

Jean-Baptiste Ngoma
6 mn de lecture

Ce qu’il faut retenir

En saluant l’ambassadeur Arnaud Guillois, une semaine après son investiture, le président de la Refondation Michael Randrianirina a ouvert un canal direct avec Paris, première puissance bilatérale active sur l’île. Le diplomate a défendu une transition inclusive et un scrutin « dans un délai raisonnable », tandis que le chef de l’État militaire multiplie les audiences avec Moscou et la SADC.

Contexte immédiat

L’implication française s’est trouvée sous les projecteurs dès l’exfiltration d’Andry Rajoelina à bord d’un avion militaire hexagonal, épisode qui a nourri toute une sémantique de passation feutrée. À Antananarivo, la forte délégation occidentale présente lors de l’investiture du 15 octobre est restée silencieuse, signe d’une extrême prudence diplomatique face à une situation sortie du cadre constitutionnel.

Le communiqué publié par l’ambassade de France le 23 octobre donne enfin une ossature au positionnement parisien. Il insiste sur des échanges « riches et constructifs » autour des partenariats existants en matière de développement, d’énergie et de gouvernance. L’emploi de ces adjectifs, classique dans la diplomatie française, n’en constitue pas moins un message d’ouverture à la nouvelle équipe.

Calendrier diplomatique

Derrière la courtoisie, le dossier le plus sensible reste la préparation d’élections. Paris rappelle que la crédibilité de la Refondation dépendra de l’inclusion de la société civile et d’un horizon électoral clair. Sans fixer de date, l’ambassadeur évoque l’idée d’un « délai raisonnable », expression qui ménage à la fois la latitude du pouvoir et la vigilance des bailleurs.

Le colonel Randrianirina, devenu figure pivot de la transition, poursuit parallèlement une séquence de diversification. La veille de l’entretien avec Arnaud Guillois, il accueillait l’envoyé spécial de la SADC. Quelques jours plus tôt, c’était l’ambassadeur de Russie qui franchissait le portail de Lavoloha. La photo collective sur les marches du palais illustre une volonté de montrer que la feuille de route reste entre mains malgaches.

Acteurs clés

Arnaud Guillois, en poste depuis 2020, connaît finement le tissu politique et économique malgache. Son action se déploie autour de la relance des grands projets d’infrastructures, d’appui à la francophonie et de coopérations sécuritaires, autant de domaines qui lui confèrent un rôle structurant dans l’archipel diplomatique européen.

Michael Randrianirina, de son côté, s’emploie à verrouiller la chaîne de commandement militaire et à rassurer les partenaires. Ancien officier de la garde présidentielle, il doit composer avec un paysage politique fragmenté tout en répondant aux attentes populaires de réforme. L’équation est complexe : ouvrir sans se fragiliser, négocier sans céder l’initiative.

Regards croisés

Du côté de la SADC, la mission de médiation privilégie l’approche graduelle, évitant toute objection publique aux décisions prises à Antananarivo. L’organisation régionale cherche à éviter la tentation des sanctions et à garder Madagascar dans son giron, estimant que le dialogue vaut mieux qu’un isolement qui favoriserait des influences extra-africaines.

La Russie, visible depuis plusieurs années sur le continent, joue ici la carte d’une coopération sécuritaire renforcée. La juxtaposition des visites française et russe crée un effet de miroir : chaque puissance cherche la bonne distance pour peser sans être perçue comme intrusive.

Scénarios de sortie de crise

Trois trajectoires dominent les discussions officieuses. Le premier scénario, qualifié d’« accéléré », verrait l’annonce rapide d’une élection présidentielle, adossée à un gouvernement d’unité nationale limité dans le temps. Il séduirait les bailleurs mais comporte pour le pouvoir le risque d’un retour précipité des clivages internes.

Le second, dit de « stabilisation », reposerait sur une transition plus longue, axée sur la refonte institutionnelle promise par le nouveau chef d’État. Ce chemin offre de la profondeur stratégique mais pourrait fatiguer une opinion impatiente. Enfin, un scénario « hybride » combine réformes sectorielles immédiates et préparation électorale graduelle ; c’est celui que Paris semble privilégier, jugeant qu’il concilie gouvernance et prévisibilité.

Les prochains jalons

À court terme, l’attention se portera sur la formation d’un comité chargé d’esquisser le mécanisme électoral. Son ouverture à des figures civiles sera l’indicateur clef de la volonté d’inclusion. Parallèlement, la tenue d’un forum économique franco-malgache, déjà évoquée par la chancellerie, permettrait de matérialiser des dividendes rapides pour la population.

Sur le plan multilatéral, l’Assemblée générale de l’Union africaine de février prochain offrira une scène propice à l’explicitation du calendrier de la Refondation. Arnaud Guillois, en poste jusqu’à la mi-2025, aura alors l’occasion de relayer un message d’assurance : ni blanc-seing ni diktat, mais un compagnonnage qui se veut pragmatique.

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Jean-Baptiste Ngoma est éditorialiste économique. Diplômé en économie appliquée, il suit les grandes tendances du commerce intra-africain, les réformes structurelles, les dynamiques des zones de libre-échange et les flux d’investissements stratégiques. Il décrypte les enjeux macroéconomiques dans une perspective diplomatique et continentale.