Fausse guerre Mali-Mauritanie : inside d’une intox virale

Jean-Baptiste Ngoma
4 mn de lecture

Ce qu’il faut retenir

Une vidéo TikTok devenue virale le 28 octobre prétend que l’armée mauritanienne a conquis Tombouctou et tué deux cents soldats maliens. La séquence, tournée en réalité dans la banlieue de Mogadiscio, illustre une campagne de désinformation visant à discréditer les forces armées maliennes et à ranimer les tensions entre Bamako et Nouakchott.

Genèse d’une rumeur virale

Le récit trompeur naît sur un compte TikTok francophone créé en 2021, spécialisé dans la diffusion d’infox sécuritaires. Inactif durant plusieurs mois, ce profil réapparaît alors que le Jnim impose un blocus autour de Tombouctou et que l’opinion publique malienne demeure sensible aux questions de souveraineté.

En vingt-quatre heures, la vidéo engrange plus de trois millions de vues et des milliers de commentaires, la plupart accusant la Mauritanie d’agression ou reprochant à l’armée malienne son prétendu repli.

Anatomie de la vidéo manipulée

Une recherche d’images inversée montre que l’affrontement filmé se déroule à Dayniile, dans la périphérie de Mogadiscio. Les lampadaires, la chaussée et la végétation tropicale correspondent exactement aux clichés de presse publiés lors d’une manifestation somalienne contre les expulsions forcées en septembre dernier.

Une seconde séquence, présentée comme un convoi mauritanien se dirigeant vers Nara, provient d’un soldat de l’Armée nationale libyenne : l’abréviation « RIB » peinte sur la portière révèle une unité frontalière sud-libyenne, sans lien avec la Mauritanie ou le Mali.

Contexte

Depuis août, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (Jnim) maintient la pression autour des axes routiers approvisionnant Tombouctou, multipliant embuscades et attaques de convois de carburant. La population, éprouvée par les pénuries, devient un terrain fertile pour les récits sensationnalistes accusant l’État de faiblesse et cherchant des boucs émissaires extérieurs.

Calendrier

La publication intervient trois semaines après que Bamako et Nouakchott ont dû démentir des accusations réciproques de non-coopération dans la lutte contre le terrorisme. Le timing laisse penser à une exploitation calculée de cette séquence diplomatique tendue pour amplifier la visibilité de la rumeur.

Acteurs

Le compte TikTok à l’origine de la manipulation cumule quarante vidéos trompeuses totalisant vingt-quatre millions de vues. Ses administrateurs demeurent anonymes, mais leurs contenus, exclusivement hostiles à l’armée malienne, laissent supposer une stratégie de dénigrement plutôt qu’une simple quête d’audience.

Souveraineté numérique en jeu

Cette affaire révèle la vulnérabilité informationnelle du Sahel, où la pénétration rapide des réseaux sociaux ne s’accompagne pas toujours d’une éducation au numérique. Les armées, confrontées à des groupes jihadistes bien rompus à la guerre psychologique, doivent désormais composer avec des acteurs non étatiques capables de manipuler l’opinion à distance et à coût réduit.

Scénarios

À court terme, la rumeur pourrait attiser la méfiance populaire envers la Mauritanie ou nourrir un sentiment d’abandon si elle n’est pas rapidement contrecarrée. À moyen terme, l’impunité des instigateurs risque d’encourager de nouvelles narrations mensongères visant d’autres capitales de la sous-région.

Riposte de Bamako

Les autorités maliennes ont répondu par un communiqué rappelant qu’aucune présence étrangère hostile n’a été signalée à Tombouctou et qu’une enquête est ouverte pour identifier l’origine des contenus. L’armée intensifie en parallèle ses patrouilles sur les corridors logistiques afin de rassurer la population et de briser l’effet de la propagande.

Diplomatie Bamako-Nouakchott à l’épreuve

Nouakchott a réaffirmé son attachement à la coopération sécuritaire bilatérale, citant les patrouilles mixtes et les échanges de renseignement en cours. Les deux chancelleries multiplient les démentis pour éviter que la fiction d’une agression ne s’installe durablement dans l’imaginaire collectif, preuve que la bataille de la narration est désormais centrale dans la stabilisation du Sahel.

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Jean-Baptiste Ngoma est éditorialiste économique. Diplômé en économie appliquée, il suit les grandes tendances du commerce intra-africain, les réformes structurelles, les dynamiques des zones de libre-échange et les flux d’investissements stratégiques. Il décrypte les enjeux macroéconomiques dans une perspective diplomatique et continentale.