Ce qu’il faut retenir
La confiscation du bébé gorille Zeytin à l’aéroport d’Istanbul, lors d’un vol Nigeria-Thaïlande, a déclenché un bras de fer diplomatique. La Turquie refuse désormais de renvoyer l’animal, invoquant un test ADN attestant qu’il appartient à une espèce inexistante au Nigeria. Abuja réclame pourtant sa réintroduction sur le continent africain.
L’affaire met en lumière le rôle de la Convention CITES, dont les deux pays sont signataires, mais aussi la montée en puissance d’Ankara en Afrique de l’Ouest. Au-delà du sort individuel de Zeytin, se joue une bataille de réputation entre un Nigeria soucieux de son image environnementale et une Turquie qui mise sur la diplomatie de la faune.
Diplomatie de la faune entre Ankara et Abuja
Depuis dix ans, la Turquie multiplie les initiatives vétérinaires et les dons de matériel de conservation auprès de plusieurs États africains. Le ministère turc de l’Environnement voit dans la protection de Zeytin une occasion de montrer sa rigueur réglementaire. Abuja y voit au contraire une entorse à la tradition de rapatriement des spécimens confisqués hors de leur aire naturelle.
Selon un responsable du Nigerian Conservation Foundation, la restitution serait « un signal fort contre les trafiquants ». Les autorités turques, elles, rappellent que la CITES autorise un pays de saisie à garder l’animal si son origine géographique demeure incertaine. Chaque camp cite donc le même texte pour défendre une lecture opposée.
Origine génétique, argument juridico-écologique
Le laboratoire de génétique de l’Université d’Ankara a attribué à Zeytin la sous-espèce Gorilla gorilla gorilla, présente au Cameroun, au Gabon ou en République du Congo, mais absente du Nigeria. Ce résultat renforce l’argument turc : un retour à Lagos ne satisferait pas le critère de « pays d’origine » exigé par la CITES pour une réintroduction.
Abuja rétorque qu’une relocalisation dans un sanctuaire d’Afrique centrale est envisageable et que la Turquie n’a pas vocation à gérer un primate africain sur le long terme. Dans les chancelleries régionales, cette divergence relance le débat sur la création d’un mécanisme continental de rapatriement assisté, capable de dépasser les frontières nationales.
Soft power et opinion publique
Ankara sait que la protection d’un bébé gorille, espèce charismatique, renforce sa visibilité positive auprès de son opinion et des touristes. Le zoo de Darica, qui accueille déjà des lions confisqués au Moyen-Orient, table sur une hausse de fréquentation. Des ONG turques appuient cette logique, arguant de la qualité des installations vétérinaires.
Au Nigeria, des organisations de jeunesse voient dans le refus turc une remise en cause de la souveraineté environnementale du pays. Les réseaux sociaux nigérians réclament un front africain pour « ramener Zeytin sur son continent ». La joute médiatique amplifie ainsi une affaire qui, sans ce capital émotionnel, serait restée cantonnée aux spécialistes.
Contexte régional du trafic sauvage
Le corridor aérien Golfe de Guinée-Asie du Sud-Est est devenu un axe majeur du commerce illégal des primates. Interpol estime qu’un millier de jeunes gorilles ont transité clandestinement vers l’Asie la dernière décennie, souvent via des faux certificats vétérinaires émis dans des ports secondaires de la région.
Le Nigeria, principal hub aérien d’Afrique de l’Ouest, figure à la fois comme pays de transit et, ponctuellement, de capture pour les trafiquants opérant aux frontières camerounaises. Les saisies se multiplient, mais la faible coordination judiciaire entre les États côtiers et les pays de destination complique les poursuites transnationales.
Calendrier et marges de négociation
La prochaine session du Comité permanent de la CITES, prévue à Genève en mai, offre une fenêtre pour une médiation. Ankara a déjà fait savoir qu’elle présenterait un rapport détaillant l’état de santé de Zeytin. Abuja prépare, de son côté, un mémoire soulignant la dimension panafricaine de la conservation des grands singes.
Des diplomates européens rappellent qu’en 2019 un bébé chimpanzé congolais avait été restitué après une médiation de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime. Le précédent alimente l’optimisme des ONG africaines, convaincues qu’un compromis est envisageable si un sanctuaire agréé accepte l’animal.
Acteurs clés et réseaux d’influence
Outre les ministères turcs et nigérians, l’ONG britannique Traffic documente le dossier et alimente les médias de données sur les routes de contrebande. Le World Association of Zoos and Aquariums soutient Ankara en soulignant la capacité d’accueil du parc de Darica.
À Abuja, la Fondation Pandrillus, dirigée par Liza Gadsby, plaide pour un rapatriement, évoquant un réseau de forêts protégées où Zeytin pourrait être réadapté. Dans l’ombre, des acteurs criminels s’inquiètent de perdre une marchandise de prestige qui aurait pu se négocier jusqu’à 40 000 dollars sur le marché asiatique.
Scénarios de sortie de crise
Trois options se profilent. Ankara conserve Zeytin, offrant une vitrine pédagogique mais au risque d’un malaise durable avec Abuja. Le gorille est transféré vers un sanctuaire d’Afrique centrale avec l’aval conjugué des deux capitales. Ou un retour progressif au Nigeria est organisé, suivi d’une remise à un refuge transfrontalier.
La seconde option paraît la plus conforme à l’esprit de la CITES, car elle rapproche l’animal de son habitat naturel sans trancher définitivement la question de l’origine. Une mission conjointe d’experts africains et turcs, déjà évoquée dans les câbles diplomatiques, pourrait sceller un accord avant la fin de l’année.

