Grands Lacs: Paris mobilise, Brazzaville en soutien

Jean-Baptiste Ngoma
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Ce qu’il faut retenir

Le Quai d’Orsay accueille ce 30 octobre une conférence de soutien à la paix et à la prospérité dans la région des Grands Lacs. Alors que cinquante délégations sont attendues, Brazzaville mise sur une approche liant urgence humanitaire, intégration économique et relance des processus de paix déjà pilotés par Washington et Doha.

Sur les bords du fleuve Congo, la présidence de Denis Sassou Nguesso voit dans cette séquence un moyen de renforcer la vocation de médiateur régional du pays et de soutenir la stabilité d’un espace stratégique où se jouent des flux commerciaux et sécuritaires majeurs pour la CEEAC.

Un contexte diplomatique en mouvement

La feuille de route congolaise s’inscrit dans la continuité des efforts français, amorcés par la réunion Macron-Kagame-Tshisekedi en septembre 2022 à New York, puis par la résolution 2773 du Conseil de sécurité condamnant l’avancée du M23 (Conseil de sécurité, 2022). Brazzaville, qui entretient des canaux de dialogue ouverts avec Kinshasa comme avec Kigali, se positionne comme trait d’union crédible.

Selon une source diplomatique congolaise jointe à Paris, « l’objectif est de compléter, non de concurrencer, les négociations de Washington et Doha. » En coulisses, le ministre Jean-Claude Gakosso plaide pour une synergie entre formats afin de réduire les risques de fragmentation institutionnelle dans la gestion de la crise.

L’urgence humanitaire au premier plan

Avec seulement 16 % du plan de réponse humanitaire financé au 15 octobre 2025, la crise à l’est de la RDC reste l’une des moins soutenues au monde (ONU OCHA, 2025). Brazzaville, sensible aux déplacements de populations vers son territoire, défend une hausse significative des engagements financiers et un ciblage sur la protection des femmes et des enfants.

La diplomatie congolaise rappelle que la stabilité du flanc oriental du continent passe par un continuum humanitaire-sécurité. « Sans assistance d’urgence, toute paix restera fragile », souligne un conseiller technique du ministère des Affaires sociales, évoquant les expériences réussies de rapatriement volontaire documentées dans la Likouala entre 2018 et 2020.

Intégration économique : au-delà des minerais

Le deuxième segment de la conférence, consacré à l’économie régionale, correspond aux priorités de la stratégie “Congo Vision 2025” qui mise sur les corridors logistiques Pointe-Noire-Kisangani et Brazzaville-Bukavu. Paris veut encourager des projets transfrontaliers d’énergie, d’agro-industrie et de numérique impliquant la RDC, le Rwanda, mais aussi le Congo-Brazzaville et le Burundi.

« Les chaînes de valeur doivent cesser d’être exclusivement extractives », confie un expert de la Banque africaine de développement présent à Paris. Brazzaville compte mettre en avant le futur port en eaux profondes de Banana-Pointe Indienne comme plateforme régionale, tout en soulignant ses forêts bâties comme capital carbone susceptible d’attirer des financements verts.

Séquence sécuritaire : complémentarité recherchée

La France prévoit une réunion ministérielle consacrée à la sécurité, visant à donner un coup d’accélérateur aux plans de cessation des hostilités. Brazzaville soutient cette démarche, rappelant son expérience de médiation en Centrafrique et au Tchad. Les autorités congolaises promeuvent une approche équilibrée combinant pression diplomatique, dialogue communautaire et réhabilitation des ex-combattants.

En parallèle, l’état-major congolais observe de près la montée des menaces hybrides dans le golfe de Guinée. Les délégations discuteront de la possibilité d’élargir le partage de renseignement déjà expérimenté dans la zone maritime C — initiative où la Marine congolaise coopère avec le Ghana et le Nigeria — aux provinces orientales de la RDC.

Calendrier et acteurs

La conférence de Paris ouvre un cycle : réunion de suivi à Brazzaville lors du Forum sur la paix de l’Afrique centrale en février 2026, puis présentation d’un rapport d’étape au Sommet UA-UE prévu à Addis-Abeba. Outre la France et les États-Unis, l’Allemagne, le Qatar, l’Angola et le Kenya sont annoncés parmi les bailleurs clés.

Pour Brazzaville, le pari est double : renforcer ses partenariats traditionnels tout en diversifiant vers de nouveaux investisseurs moyen-orientaux. La diplomatie économique congolaise mobilise déjà la Zone économique spéciale de Maloukou comme vitrine pour des entreprises du Golfe souhaitant tester le marché sous-régional.

Scénarios : quels gains pour Brazzaville ?

Trois trajectoires se dessinent. Le scénario optimiste verrait une levée substantielle de fonds humanitaires, la signature par Kinshasa d’un cadre économique régional et le recul des violences, offrant à Brazzaville l’opportunité de consolider son statut de « facilitateur de confiance ».

Dans un scénario intermédiaire, l’aide serait au rendez-vous, mais les tensions persisteraient, obligeant le Congo à multiplier les missions de bons offices. Le scénario prudent prévoit un statu quo, mais la visibilité internationale gagnée à Paris permettrait tout de même à Brazzaville d’asseoir ses atouts logistiques et forestiers auprès de bailleurs soucieux de diversification.

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Jean-Baptiste Ngoma est éditorialiste économique. Diplômé en économie appliquée, il suit les grandes tendances du commerce intra-africain, les réformes structurelles, les dynamiques des zones de libre-échange et les flux d’investissements stratégiques. Il décrypte les enjeux macroéconomiques dans une perspective diplomatique et continentale.