Hélicoptères sud-africains: l’ombre de Haftar sur Pretoria

Jean-Baptiste Ngoma
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Ce qu’il faut retenir

La révélation d’un transfert clandestin d’hélicoptères Gazelle depuis l’Afrique du Sud vers l’est libyen, territoire contrôlé par le maréchal Khalifa Haftar, secoue Pretoria. L’enquête du City Press dévoile un contournement présumé de l’embargo onusien sur les armes, alimenté par des vols russes discrets, et interroge la crédibilité de la politique de non-alignement sud-africaine.

Une enquête sud-africaine qui interroge

Selon l’hebdomadaire sud-africain, au moins quatre appareils de type Gazelle, acquis comme plateformes civiles après leur démilitarisation en France, ont quitté le sol national entre avril et juin. Chaque rotation se serait faite depuis la base de Polokwane, à bord d’Antonov russes dont les plans de vol mentionnaient systématiquement Amman comme destination finale.

Une fois relevées, les immatriculations sud-africaines ZU-HAS, ZU-HKR, ZU-HKT et ZU-HKW auraient disparu. Quelques semaines plus tard, des images diffusées par les autorités de Benghazi montrent des Gazelle au fuselage sable, flanquées de cocardes libyennes, défilant devant Haftar. Les numéros d’origine, partiellement visibles, corroborent le traçage effectué par les journalistes.

Un ballet aérien sous haute surveillance

Les vols d’Antonov russes font l’objet d’une attention grandissante. Le 23 mai, l’atterrissage d’un An-124 à l’aéroport militaire de Waterkloof avait déjà suscité des interrogations, les autorités refusant de préciser la nature de la cargaison. Dans le dossier des Gazelle, la répétition des itinéraires renforce le soupçon d’une chaîne logistique bien huilée.

Johannesburg s’est engagé à multiplier les inspections au départ, plaidant la transparence. Toutefois, la législation interne n’exige pas qu’un appareil civil bardé d’autocollants militaires soit systématiquement contrôlé dès lors que son armement a été retiré. Cette zone grise, exploitée par des intermédiaires, complique la tâche des douaniers et de la diplomatie.

Les enjeux pour le maréchal Haftar

Pour Haftar, disposer d’hélicoptères légers polyvalents constitue un atout tactique. Capables de reconnaissance armée ou d’appui au sol, les Gazelle complètent un arsenal déjà fourni en matériel russe et émirati. Leur présence à Benghazi envoie également un signal politique d’autosuffisance face au gouvernement de Tripoli, reconnu par les Nations unies.

Dans un contexte où les lignes de front restent mouvantes, l’introduction d’appareils rapides et faciles à maintenir peut modifier l’équilibre local. Les observateurs notent que l’ONU, dont la Mission d’appui en Libye alerte régulièrement sur les violations de l’embargo, risque de voir son autorité encore fragilisée par cette affaire non élucidée.

Pressions juridiques sur Pretoria

Le ministère sud-africain du Commerce et de l’Industrie, garant des licences d’exportation, assure qu’aucune autorisation militaire n’a été accordée, laissant entendre qu’un détournement de procédure a eu lieu. Des voix au Parlement réclament l’ouverture d’une enquête en commission, tandis que des ONG spécialisées demandent la suspension des opérateurs aériens impliqués.

D’autres rappellent que l’Afrique du Sud a déjà été épinglée pour des exportations controversées vers le Yémen ou la Centrafrique, preuves que la chaîne de contrôle demeure perfectible. La signature par Pretoria du Traité sur le commerce des armes l’oblige pourtant à signaler tout transfert douteux aux Nations unies, sous peine de sanctions.

Quelles conséquences pour la diplomatie régionale?

Dans les capitales voisines, la nouvelle réactive le débat sur la neutralité affichée par Pretoria dans les crises nord-africaines. L’Algérie, soutien discret du processus onusien, observe avec prudence les évolutions de l’Est libyen. Au sein de la Communauté de développement d’Afrique australe, certains redoutent une érosion de la cohésion doctrinale.

En arrière-plan, se dessine la concurrence d’influences entre Moscou, Ankara et Abou Dhabi pour le contrôle des couloirs logistiques vers la Cyrénaïque. L’épisode Gazelle confirme que l’Afrique australe n’échappe plus à ces réseaux. Les diplomates sud-africains devront clarifier leurs engagements s’ils veulent éviter d’être perçus comme un maillon permissif.

Scénarios à surveiller

Si l’enquête parlementaire aboutissait, Pretoria pourrait suspendre temporairement les exportations d’équipements aéronautiques sensibles, un signal fort aux courtiers internationaux. À l’inverse, une issue sans sanction renforcerait l’idée qu’il existe des trous normatifs exploitables. Dans les deux cas, la capacité d’influence de l’Afrique du Sud au Conseil de paix et sécurité de l’UA sera scrutée.

Pour la Libye, la livraison de Gazelle pourrait accélérer une course aux capacités entre l’Est et l’Ouest, au détriment des négociations déjà fragiles. Tripoli pourrait solliciter un soutien accru de ses alliés turcs, tandis que la mission onusienne tenterait de réactiver le Comité des sanctions. Le cycle d’escalade n’est donc pas exclu.

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Jean-Baptiste Ngoma est éditorialiste économique. Diplômé en économie appliquée, il suit les grandes tendances du commerce intra-africain, les réformes structurelles, les dynamiques des zones de libre-échange et les flux d’investissements stratégiques. Il décrypte les enjeux macroéconomiques dans une perspective diplomatique et continentale.