Khartoum expulse deux cadres du PAM, la famine menace 24 millions

Jean-Baptiste Ngoma
5 mn de lecture

Ce qu’il faut retenir

Les autorités militaires de Khartoum ont ordonné le départ, sous 72 heures, de deux hauts responsables du Programme alimentaire mondial. L’incident intervient alors qu’el-Fasher, dernier bastion gouvernemental au Darfour, est tombée après dix-huit mois de siège imposé par les Forces de soutien rapide, aggravant une famine qui touche déjà 24 millions de personnes.

Contexte humanitaire alarmant

Le PAM rappelle que « les besoins humanitaires au Soudan n’ont jamais été aussi élevés ». Plus d’un habitant sur deux connaît l’insécurité alimentaire aiguë, conséquence directe d’un conflit déclenché en avril 2023 entre l’armée régulière et les FSR. Les couloirs d’aide, déjà entravés, se ferment encore davantage depuis l’annonce des expulsions.

Expulsions sans explication officielle

Les militaires soudanais n’ont fourni aucun motif précis, indiquant seulement par l’agence Suna que la coopération avec le PAM se poursuivrait. Par le passé, Khartoum avait accusé certaines ONG de publier des rapports erronés sur l’ampleur de la famine ou de ne pas respecter la législation locale. Le PAM dit engager un dialogue pour rétablir la présence de ses cadres.

Calendrier d’un siège asphyxiant

La ville d’el-Fasher, capitale du Darfour-Nord, subissait depuis un an et demi un blocus alimentaire imposé par les FSR. Dimanche, le groupe paramilitaire a pris le contrôle complet de l’agglomération, faisant craindre pour les 250 000 civils restés sur place, majoritairement issus de communautés non arabes. Les témoignages d’atrocités se multiplient depuis la chute de la cité.

Routes mortelles et exode sous les balles

« Les violations sont constantes sur les axes de sortie, on pille, on tire sans distinction », relate un rescapé joint par l’émission Sudan Lifeline de la BBC Arabic. Comme lui, des milliers de personnes fuient vers Tawila, à 60 kilomètres, où 800 000 déplacés étaient déjà rassemblés après l’attaque du camp géant de Zamzam en avril dernier.

Darfour : le spectre d’un passé douloureux

Entre 2003 et 2020, la région avait été le théâtre d’un des pires drames humanitaires mondiaux. Le Janjaweed, accusé de crimes de génocide, a depuis évolué en FSR. L’écrivaine soudano-américaine Emtithal Mahmoud, qui a perdu des proches durant cette période, estime qu’« un génocide se déroule de nouveau, filmé et diffusé en direct », l’impunité semblant totale.

Acteurs et responsabilités

L’armée soudanaise, dirigée par le général Abdel Fattah al-Burhan, contrôle toujours Port-Soudan et le nord-est du pays. Les FSR, menées par le général Mohamed Hamdan Daglo, consolident leur assise à l’ouest. Les communautés non arabes demeurent les premières victimes, tandis que les organisations humanitaires tentent de maintenir des opérations réduites, sous pression sécuritaire permanente.

Réactions régionales et internationales

L’Union africaine et l’Union européenne ont exprimé leur inquiétude. Des chercheurs de l’Université Yale affirment que des images satellite montrent des « amas de corps » dans l’enceinte de l’hôpital saoudien d’el-Fasher, corroborant les accusations du comité de résistance local. Ces signalements ravivent le débat sur l’efficacité des mécanismes d’alerte rapide de la communauté internationale.

Scénarios à court terme

Si les expulsions ne sont pas révoquées, le PAM devra gérer à distance une opération déjà jugée critique. La fermeture de la dernière porte d’accès terrestre au Darfour-Nord pourrait pousser des centaines de milliers de civils vers le Tchad. Une médiation, notamment sous l’égide de l’IGAD, peine pour l’instant à rassembler les belligérants autour d’un cessez-le-feu vérifiable.

Perspectives d’une issue diplomatique

Toute relance du dialogue exigera des garanties sécuritaires pour les agences onusiennes et un accès humanitaire sans entrave. Les sanctions individuelles, brandies par certains partenaires occidentaux, ont jusqu’ici peu d’effet sur les calculs des chefs militaires soudanais. Reste l’option d’une pression coordonnée régionale, encore timide, mais essentielle pour éviter une catastrophe humanitaire totale.

Partager l'article
Jean-Baptiste Ngoma est éditorialiste économique. Diplômé en économie appliquée, il suit les grandes tendances du commerce intra-africain, les réformes structurelles, les dynamiques des zones de libre-échange et les flux d’investissements stratégiques. Il décrypte les enjeux macroéconomiques dans une perspective diplomatique et continentale.