Jeunesse et origines
Kofi Atta Annan est né le 8 avril 1938 à Kumasi, dans la Gold Coast britannique (aujourd’hui le Ghana). Lui et sa sœur jumelle, Efua Atta, sont issus d’une famille aristocratique Fante influente ; ses deux grands-pères et un oncle étaient des chefs traditionnels. Son père, Henry Reginald Annan, fut gouverneur de province, ce qui exposa Kofi dès son jeune âge aux responsabilités de la fonction publique. Ayant grandi dans les dernières années de la colonisation, Annan fut témoin des premiers élans vers l’indépendance du Ghana – un contexte fondateur qui l’inspira profondément en matière de gouvernance africaine et de devoir civique. En 1957, l’année de son diplôme du secondaire, le Ghana obtint son indépendance – un tournant historique qui façonna sa vision du monde.
Son éducation mêlait traditions ancestrales et ouverture sur l’avenir. Conformément à la coutume akan, il reçut le prénom « Kofi », attribué aux garçons nés un vendredi. Il aimait rappeler que son nom de famille, Annan, « rime avec canon en anglais », pour en faciliter la prononciation aux non-Ghanéens. Élevé dans une famille valorisant l’éducation et le sens du service, Annan développa très tôt une assurance calme et un sens aigu du devoir. Ces influences précoces – le prestige des chefferies traditionnelles et l’optimisme d’une nation nouvellement indépendante – ont forgé sa conviction profonde en la dignité de chaque nation et de chaque peuple.
Formation et influences marquantes
Kofi Annan reçut une éducation d’excellence, à cheval entre trois continents, ce qui élargit sa vision du monde et le prépara à une carrière internationale. Il fréquenta la prestigieuse école méthodiste Mfantsipim à Cape Coast de 1954 à 1957. Il y apprit, selon ses propres mots, que « la souffrance de quelqu’un concerne tout le monde » — un enseignement fondamental qui devint le socle de sa philosophie humaniste.
Il poursuivit ses études en économie, d’abord au Kumasi College of Science and Technology (aujourd’hui Université Kwame Nkrumah), puis obtint une bourse de la Fondation Ford qui lui permit de partir aux États-Unis. Il décrocha sa licence en économie au Macalester College de Saint Paul (Minnesota) en 1961. Immergé dans une Amérique en pleine lutte pour les droits civiques, il fut marqué par les idéaux de justice sociale. Il étudia ensuite les relations internationales à l’Institut universitaire de hautes études internationales à Genève (1961-1962), puis obtint un master en management au MIT en tant que boursier Sloan en 1972.
Ces expériences – entre l’Afrique, l’Amérique et l’Europe – consolidèrent sa foi en le multilatéralisme. Comme il le rappellera plus tard :
Il n’y aura pas de développement sans sécurité, pas de sécurité sans développement, et aucun des deux sans respect des droits humains.
Kofi Annan
Cette vision interconnectée de la paix, du développement et des droits humains deviendra la pierre angulaire de sa diplomatie.
Ascension au sein des Nations unies
La carrière de Kofi Annan à l’ONU débuta au début des années 1960 et dura près de cinq décennies. Il entra dans le système onusien en 1962 comme chargé de budget à l’Organisation mondiale de la santé à Genève. Il occupa ensuite divers postes à la Commission économique pour l’Afrique à Addis-Abeba, à la Force d’urgence des Nations unies en Égypte, puis au HCR à Genève. Dans les années 1980, il rejoignit le siège de l’ONU à New York, prenant la direction de services chargés des ressources humaines, du budget et des finances.
Un tournant décisif survint en 1990, lors de la guerre du Golfe. Le Secrétaire général Javier Pérez de Cuéllar lui confia une mission délicate : organiser le rapatriement de plus de 900 agents et otages occidentaux depuis l’Irak. Cette opération, réussie, révéla son habileté diplomatique. Il dirigea ensuite les négociations initiales du programme « pétrole contre nourriture » en Irak. Ce succès lui valut une reconnaissance croissante dans les cercles diplomatiques.
En 1993, il fut nommé secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la paix. Il dirigea le département durant une période critique, marquée à la fois par l’expansion des missions de paix (notamment en ex-Yougoslavie, en Somalie et au Rwanda) et par de terribles échecs. Le génocide de 1994 au Rwanda et le massacre de Srebrenica en 1995 restèrent des traumatismes majeurs. Annan reconnut plus tard avec amertume que l’ONU n’avait pas su agir à temps, admettant : « J’aurais pu et dû faire davantage pour tirer la sonnette d’alarme. »
Malgré ces échecs, il fit preuve de fermeté. En 1995, alors que Boutros Boutros-Ghali était temporairement indisponible, Annan autorisa la suspension du veto onusien sur les frappes aériennes de l’OTAN contre les forces serbes de Bosnie — une décision qui précipita la fin du conflit. Ce courage valut à Annan le respect des capitales occidentales. L’envoyé américain Richard Holbrooke salua sa « performance audacieuse ». En décembre 1996, le Conseil de sécurité recommanda sa nomination au poste de Secrétaire général de l’ONU. Quelques jours plus tard, l’Assemblée générale entérina cette décision, faisant de lui le premier Secrétaire général issu du rang du personnel des Nations unies.
Secrétaire général des Nations unies (1997–2006)
Kofi Annan est devenu le septième Secrétaire général des Nations unies le 1er janvier 1997, entamant une décennie de transformations majeures à la tête de l’organisation. Dès le départ, il a mis en œuvre un programme ambitieux visant à revitaliser et à recentrer l’ONU pour le XXIe siècle. En tant qu’initié ayant fait toute sa carrière au sein de l’organisation, Annan connaissait parfaitement ses forces comme ses lourdeurs bureaucratiques. Sa première grande initiative fut un plan de réforme intitulé de manière significative « Renouveler les Nations unies », présenté en juillet 1997. Grâce à cette réforme et aux suivantes, Annan chercha à rationaliser la bureaucratie onusienne, à améliorer la coordination entre ses agences et à rendre l’ONU plus transparente et plus responsable. Il prônait un rapprochement de l’ONU avec les peuples, en ouvrant ses actions au-delà des États pour inclure la société civile et le secteur privé. Le Comité Nobel de la paix le salua pour avoir « insufflé une nouvelle vie à l’organisation », reconnaissant ainsi son rôle déterminant dans le renouveau de l’image et du rôle des Nations unies sur la scène mondiale.
Consolider la paix et la sécurité
L’un des axes majeurs de son mandat fut le renforcement de la capacité de l’ONU à maintenir la paix et la sécurité internationales. Tirant les leçons des échecs des années 1990, il réforma les opérations de maintien de la paix, les professionnalisa et élargit leurs mandats. Sous sa direction, les missions onusiennes purent faire face à une montée en puissance rapide des déploiements, notamment en Sierra Leone ou au Timor oriental. Il fut également un ardent défenseur du principe de la responsabilité de protéger, selon lequel la communauté internationale ne doit plus rester passive face aux génocides et crimes contre l’humanité. Ce principe fut formellement adopté par les États membres en 2005.
À son initiative, l’ONU créa en 2005 une Commission de consolidation de la paix pour aider les pays sortant d’un conflit, et remplaça en 2006 la décriée Commission des droits de l’homme par un Conseil des droits de l’homme plus crédible et opérationnel.
Kofi Annan s’impliqua personnellement dans de nombreuses crises diplomatiques :
- En 1998, il se rendit à Bagdad pour désamorcer un conflit sur les inspections d’armes de l’ONU, évitant une guerre imminente.
- La même année, il facilita la transition démocratique du Nigeria, encourageant le régime militaire à respecter le calendrier de retour au pouvoir civil.
- En 1999, il joua un rôle central dans l’intervention internationale au Timor oriental après le retrait de l’Indonésie.
- Il contribua également à un accord avec la Libye sur l’affaire de l’attentat de Lockerbie (1988).
- En 2000, il certifia le retrait d’Israël du Liban sud, puis facilita en 2006 un cessez-le-feu entre Israël et le Hezbollah.
- Il intervint même pour résoudre le différend frontalier entre le Cameroun et le Nigeria autour de la péninsule de Bakassi, contribuant à l’application pacifique d’une décision de la Cour internationale de justice.
Ces initiatives reflètent sa foi en une diplomatie discrète et patiente, où l’autorité morale et l’engagement personnel comptaient autant que les pressions politiques.
Développement et coopération mondiale
Kofi Annan était tout aussi engagé sur le volet du développement. Originaire d’Afrique, il plaça la lutte contre la pauvreté et les inégalités au cœur de l’agenda mondial. Il fut à l’origine des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD). En avril 2000, il présenta le rapport « Nous les peuples : le rôle des Nations unies au XXIe siècle », qui mena à l’adoption de la Déclaration du Millénaire. En 2001, huit OMD furent définis, visant à réduire de moitié l’extrême pauvreté, améliorer la santé et l’éducation, et lutter contre le VIH/SIDA d’ici 2015.
Le combat contre le VIH/SIDA, particulièrement en Afrique, fut l’un de ses chevaux de bataille. Il lança un appel mondial à l’action et milita pour la création du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme en 2002. Il dénonça la stigmatisation des malades et milita pour un accroissement massif des financements. Sous sa direction, l’aide internationale dans ce domaine connut une progression significative.
Il promut également des initiatives dans l’éducation (comme la Décennie de l’alphabétisation) et dans l’accès aux technologies, insistant sur le fait que la liberté vis-à-vis du besoin était aussi essentielle que celle vis-à-vis de la peur.
Un multilatéralisme ouvert et partenarial
Autre marque de fabrique d’Annan : son ouverture vers les entreprises et la société civile. Estimant que l’ONU devait s’adapter à la mondialisation, il lança en 1999 le Pacte mondial, invitant les dirigeants du secteur privé à respecter des principes relatifs aux droits humains, au travail, à l’environnement et à la lutte contre la corruption. Ce pacte est devenu la plus grande initiative de durabilité des entreprises au monde.
Après les attentats du 11 septembre 2001, il lança la première stratégie de lutte contre le terrorisme de l’ONU, rappelant que la riposte devait respecter le droit international et les droits humains. À ses yeux, les ONG, les universitaires et le secteur privé devaient être des partenaires à part entière dans la résolution des grands défis mondiaux.
Style de leadership et épreuves
Son style de leadership était souvent décrit comme diplomatique, réfléchi, calme mais résolu. Il faisait preuve d’un immense sang-froid, y compris dans les situations les plus critiques. Il se démarquait par une autorité tranquille, capable de convaincre sans élever la voix. Il était chaleureux et accessible, tout en restant discipliné et rigoureux. Cette combinaison lui valut le surnom de « pape laïc » dans certains cercles diplomatiques.
Son mandat ne fut toutefois pas exempt de controverses. Il fut vivement critiqué pour l’échec de l’ONU à prévenir les atrocités au Rwanda et en Bosnie. Ces tragédies le hantèrent, et guidèrent nombre de ses réformes.
Lors de l’invasion de l’Irak par les États-Unis et le Royaume-Uni en 2003, il déclara publiquement que l’intervention était illégale au regard de la Charte des Nations unies. Cette prise de position courageuse, rare à ce niveau, lui valut autant de respect que d’hostilité.
Il dut également faire face au scandale du programme pétrole contre nourriture, qui éclaboussa l’ONU en 2004–2005. Une enquête indépendante dirigée par Paul Volcker l’exonéra de toute malversation, mais pointa des lacunes administratives. Annan répondit par une accélération des réformes, notamment en matière de transparence et de protection des lanceurs d’alerte.
Prix Nobel et héritage
En 2001, Kofi Annan et les Nations unies reçurent le prix Nobel de la paix, en reconnaissance de leur travail pour un monde plus pacifique, plus équitable et plus humain. Annan dédia le prix au personnel de l’ONU et aux casques bleus tombés dans l’exercice de leurs fonctions.
À la fin de son second mandat, le 31 décembre 2006, son successeur António Guterres le qualifia de « force directrice du bien ». Ban Ki-moon, en lui succédant, déclara que Kofi Annan avait conduit l’ONU « avec une dignité et une détermination incomparables » dans le nouveau millénaire.
Carrière post-ONU et diplomatie continue
Quitter les Nations unies n’a pas marqué la fin de l’engagement de Kofi Annan sur la scène internationale. Bien au contraire, il affirmait souvent qu’il existait une vie après l’ONU, et il s’est alors affirmé comme un ancien chef d’État moralement influent et artisan de paix reconnu dans le monde entier. Dès 2007, il fonde la Fondation Kofi Annan, basée à Genève, pour canaliser son expérience et son autorité morale vers la résolution de défis mondiaux, de manière plus souple que ne le permettait la diplomatie officielle. La Fondation s’est concentrée sur des thématiques chères à Annan : la paix, la sécurité, le développement durable, les droits humains et la bonne gouvernance. Elle a joué un rôle de « catalyseur de paix durable », proposant des solutions allant de la médiation des conflits à la sécurité alimentaire. Sous sa direction, des programmes ont été lancés pour promouvoir des élections équitables, le leadership des jeunes et une gestion équitable des ressources naturelles.
L’un des premiers grands défis post-ONU d’Annan démontre que ses compétences de médiateur restaient très recherchées. En 2008, le Kenya fut plongé dans une grave crise postélectorale, menaçant de sombrer dans la guerre civile. À la demande de l’Union africaine, Annan dirigea un panel de personnalités africaines éminentes pour résoudre la crise. Au terme de plusieurs semaines de négociations intenses à Nairobi, il obtint un accord de partage du pouvoir, mettant fin aux violences et ouvrant la voie à un gouvernement de coalition. Cette médiation renforça son image d’« aîné africain » capable de trouver des solutions africaines aux problèmes africains, et démontra son engagement indéfectible pour la paix, même en dehors de toute fonction officielle.
En 2012, au plus fort de la guerre civile syrienne, Annan revint temporairement dans le giron des Nations unies en tant que médiateur spécial conjoint ONU-Ligue arabe pour la Syrie. Il élabora un plan de paix en six points et tenta de réunir les parties au conflit autour de négociations. Mais face à l’absence d’unité du Conseil de sécurité et à l’intransigeance des belligérants, Annan démissionna après six mois, exprimant publiquement sa déception face à l’inaction internationale, fidèle à son appel constant à un consensus mondial en période de crise. Bien qu’aucun accord de paix n’ait été atteint, sa démarche fut saluée pour son courage et sa clarté.
En parallèle de ces missions de haut niveau, Annan resta actif sur de nombreux fronts. Il devint président fondateur de l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA), visant à renforcer la productivité agricole et la sécurité alimentaire. Il présida aussi le Panel de progrès de l’Afrique, qui publia jusqu’en 2017 des rapports influents sur le développement durable et la croissance équitable. En 2013, il fut nommé président de The Elders, un groupe d’anciens dirigeants et lauréats du prix Nobel fondé par Nelson Mandela. Avec des personnalités comme Jimmy Carter et Graça Machel, il s’investit dans le mentorat de jeunes leaders et dans la médiation sur des sujets comme la gouvernance tolérante et la réconciliation.
Annan n’hésitait pas à s’exprimer contre les injustices, appelant à la réconciliation en Côte d’Ivoire, alertant sur les violences électorales en Afrique ou exhortant le gouvernement birman à protéger les Rohingyas. En 2016, le gouvernement du Myanmar l’invita à présider une commission consultative sur l’État d’Arakan (Rakhine). Ses recommandations, publiées en 2017, visaient à améliorer les conditions de vie de toutes les communautés locales, mais furent rapidement dépassées par une répression militaire brutale.
Éducation, transmission et réflexion
L’éducation et le partage du savoir furent au cœur de ses engagements post-ONU. Il devint chancelier de l’Université du Ghana, donna des conférences à travers le monde et soutint des projets de recherche sur la gouvernance mondiale. Son mémoire, « Interventions: A Life in War and Peace », publié en 2012, revient sur les crises qu’il a traversées et ses principes directeurs.
Toujours défenseur de la démocratie, il présida de 2011 à 2012 la Commission mondiale sur les élections, la démocratie et la sécurité, avant de lancer un groupe de réflexion sur le trafic de drogue en Afrique de l’Ouest. Même à l’ère numérique, il s’adapta, et sa Fondation mit en place des projets pour lutter contre la désinformation électorale en ligne et prévenir l’extrémisme violent en s’appuyant sur la jeunesse.
Mort et hommage mondial
Kofi Annan est décédé le 18 août 2018 à Berne, en Suisse, à l’âge de 80 ans, après une courte maladie. Sa disparition a suscité une vague mondiale d’émotion. En Ghana, il reçut des funérailles nationales, et une semaine de deuil officiel fut décrétée. Le président ghanéen le qualifia de « l’un de nos plus grands compatriotes ». Partout en Afrique et dans le monde, chefs d’État et citoyens ordinaires ont rendu hommage à un homme qui a consacré sa vie au service de l’humanité.