La proclamation par l’Assemblée générale de l’ONU de la période 2027–2036 comme Décennie des Nations unies pour l’afforestation et la reforestation couronne une campagne diplomatique habilement menée par la République du Congo. En remontant la genèse, les enjeux et les perspectives de cette résolution, ce texte place la diplomatie environnementale de Brazzaville au cœur des dynamiques géopolitiques et économiques mondiales, tout en interrogeant ses réussites et ses contradictions, notamment entre ambition climatique et stratégie énergétique.
Une résolution portée par Brazzaville
À peine la résolution A/79/L.64 adoptée le 16 avril 2025 — par 155 voix contre une — qu’elle circulait déjà dans les couloirs des Nations unies, ses paragraphes opérationnels photocopiés et commentés. Le texte, qui établit une Décennie mondiale pour l’afforestation et la reforestation entre 2027 et 2036, s’inscrit dans un contexte international fragmenté. Ce consensus quasi total est d’autant plus remarquable que le premier projet du texte avait été rédigé par Brazzaville, neuf mois seulement après la Conférence internationale sur l’afforestation tenue dans la capitale congolaise en juillet 2024.
Officiellement, la résolution répond à un impératif écologique : augmenter de 4 % le couvert forestier net mondial. Mais le message sous-jacent est éminemment politique. Les diplomates congolais ont défendu l’initiative au nom de la justice climatique, estimant que les pays tropicaux rendent un service écologique planétaire sans en recevoir de juste contrepartie. En réussissant à faire adopter la résolution, en dépit des objections budgétaires de certains États donateurs, Brazzaville démontre un savoir-faire institutionnel rappelant la création de l’Organisation du traité de coopération amazonienne à la fin des années 1970.
Seule ombre au tableau : le vote négatif des États-Unis, motivé non pas par un désaccord sur la reforestation, mais par une réticence plus large face à ce que Washington qualifie de « gouvernance mondiale douce ». Ce désaccord illustre combien la diplomatie environnementale se joue aussi sur les terrains de la souveraineté, du financement et des équilibres normatifs du multilatéralisme. En obtenant un soutien massif malgré cette opposition de principe, les diplomates congolais ont consolidé une norme émergente : celle d’États forestiers à revenu intermédiaire revendiquant un rôle central dans la gouvernance écologique mondiale.
Genèse de la résolution A/RES/79/L.64
L’idée d’une Décennie onusienne avait été évoquée lors du cinquième sommet extraordinaire de la Commission des forêts d’Afrique centrale, à Brazzaville, en juillet 2024. Elle paraissait alors symbolique, tant le calendrier des Nations unies est saturé. Pourtant, en neuf mois, la proposition s’est concrétisée, co-parrainée par 83 États membres.
Les discussions, animées par l’ambassadrice mexicaine Vera Guadalupe, ont buté principalement sur la question du financement : fallait-il créer un fonds obligatoire ou s’en remettre à des engagements volontaires ? Brazzaville a proposé un compromis : un « Mécanisme mondial pour le couvert forestier », logé dans le Fonds vert pour le climat mais piloté par un comité multipartite. Une solution qui a permis de rassurer les bailleurs prudents comme les ONG critiques des fonds trop centralisés.
Autre élément clé : la diversité des soutiens. L’Union européenne a rallié le texte après l’ajout d’une référence à sa réglementation sur la déforestation ; les petits États insulaires y ont vu une protection contre l’érosion des mangroves ; les grands exportateurs de bois ont saisi l’opportunité de valoriser une image plus responsable. Le vote massif en faveur de la résolution A/RES/79/284 confirme qu’une diplomatie de coalition peut encore l’emporter, même dans un contexte multilatéral tendu.
Une empreinte diplomatique affirmée
La diplomatie environnementale du Congo ne date pas de 2025. Le sommet fondateur des trois bassins tropicaux (Amazonie, Asie du Sud-Est, bassin du Congo), déjà organisé à Brazzaville en 2011, a posé les bases d’une coopération Sud-Sud renforcée. Un deuxième sommet, en octobre 2023, a ravivé la dynamique avec une déclaration commune sur le financement intégré des forêts.
À la COP29 de Bakou, le président Denis Sassou Nguesso a lancé l’initiative C-15 pour la justice climatique : une coalition de 15 pays à forte couverture forestière mais à faible taux de déforestation. Celle-ci vise à intégrer le capital naturel dans les comptes nationaux. Des engagements de 8 millions de dollars en crédits carbone ont été annoncés, signalant une timide mais réelle monétisation de l’intégrité forestière.
Un appareil diplomatique technocratique
Le succès diplomatique s’appuie sur un noyau de conseillers chevronnés. La Franco-rwandaise Françoise Joly, diplômée de Sciences Po, supervise la stratégie climat, les relations publiques et le protocole. Elle joue un rôle clé dans les nominations et incarne une diplomatie fluide, multilingue et connectée.
Les ministres Jean-Claude Gakosso (Affaires étrangères) et Arlette Soudan-Nonault (Environnement) complètent cette équipe technocratique. Leur double compétence en gestion de l’information et écologie appliquée permet à Brazzaville de combiner rigueur scientifique et efficacité narrative.
Une politique nationale en cohérence
La crédibilité internationale repose sur des efforts domestiques concrets. Environ 11 % du territoire congolais bénéficie d’un statut de protection, notamment les parcs d’Odzala-Kokoua et le site trinational de la Sangha. Le Congo travaille depuis 2019 à intégrer la valeur des écosystèmes dans ses comptes publics, avec le soutien de la Banque mondiale. En 2026, un compte satellite du capital naturel valorisera monétairement les forêts, tourbières et mangroves.
Sur le terrain, un centre national de télédétection produit des alertes de déforestation transmises aux autorités locales. En 2024, 1 642 alertes ont été émises, dont 258 ont conduit à des sanctions. La gouvernance environnementale progresse, bien qu’inégalement appliquée.
Leadership régional et innovations financières
La diplomatie verte du Congo dépasse ses frontières. En avril 2025, à Washington, Denis Sassou Nguesso co-présidait un dialogue de haut niveau avec son homologue kényan William Ruto sur l’intégration des services écosystémiques dans les évaluations de la dette.
Dans le cadre de la Commission climat du bassin du Congo, Brazzaville a su jouer les médiateurs entre Gabon (favorable à un prix plancher du carbone) et Cameroun (partisan de la flexibilité). Le compromis congolais : un corridor de prix indexé.
Sur le plan financier, le pays explore des mécanismes innovants. Un projet de crédits biodiversité dans le parc de Nouabalé-Ndoki a attiré des acheteurs européens. Avec la BAD, le Congo travaille aussi à des échanges dette-nature, inspirés du modèle bélizien. Un tiers de la dette extérieure pourrait être restructuré pour tripler les moyens consacrés à la conservation.
Entre hydrocarbures et ambition climatique
La stratégie verte du Congo est toutefois entachée par ses ambitions pétrolières. Le pays prévoit de doubler sa production de brut d’ici 2028, en misant sur de nouveaux gisements offshore. Des ONG dénoncent un chevauchement avec des zones protégées.
Le gouvernement se défend : les recettes pétrolières financent le Fonds pour la justice climatique, doté de 12 milliards FCFA en 2025 grâce à une taxe exceptionnelle. Mais le manque de transparence dans la gestion de ces fonds alimente les critiques, alors que la crédibilité environnementale devient un critère d’investissement.
Une diplomatie forestière aux ambitions globales
Pour que la Décennie ne soit pas purement symbolique, un suivi rigoureux est prévu. Brazzaville travaille à un Index mondial du couvert végétal, combinant données satellites, relevés au sol et algorithmes. Un système de traçabilité électronique des grumes complète l’arsenal numérique, encouragé explicitement par la résolution onusienne.
Le renforcement des capacités est également central. L’université de Brazzaville lancera en 2026 un master en sylviculture tropicale et diplomatie, avec bourses pour femmes et étudiants autochtones. Un réseau de boursiers du climat permettra à des fonctionnaires du bassin de se former directement au ministère congolais de l’Environnement.
Un modèle émergent de diplomatie climatique
La Décennie pour l’afforestation marque un tournant. Le Congo ne se contente plus de solliciter des aides : il propose, structure, mobilise. Reste à savoir si cette ambition survivra aux contradictions — entre pétrole et climat, ambition et mise en œuvre, incitations et gouvernance.
Si l’expérience réussit, Brazzaville pourrait incarner un modèle pour les nations forestières du Sud. Un modèle où la diplomatie stratégique épouse la protection des forêts. L’avenir dira si les graines semées à New York produiront des hectares restaurés ou s’évaporeront dans les inerties budgétaires. Mais une chose est acquise : la forêt est désormais un enjeu central de la diplomatie mondiale, et la République du Congo en est un acteur qui compte.