Du dihydrogène vert aux synergies des terres rares
Lorsque la présidente namibienne Netumbo Nandi-Ndaitwah a inauguré, en avril, l’usine HyIron près de Tsintsabis, elle se tenait aux côtés d’émissaires européens et allemands pour célébrer la première aciérie zéro émission du continent, alimentée par de l’hydrogène vert produit localement. Deux mois plus tard, le Maroc a sécurisé des droits fonciers pour le projet d’ammoniac vert de Chbika, évalué à 11 milliards d’euros et explicitement aligné sur les objectifs d’importation du dispositif REPowerEU. Bruxelles recense désormais 138 projets phares Global Gateway en cours et a fléché 150 milliards d’euros vers l’Afrique d’ici 2027, avec la priorité accordée aux minerais critiques et aux renouvelables.
La logique est réciproque. L’Europe ne peut décarboner ses industries les plus difficiles sans les ressources solaires et éoliennes à grande échelle de l’Afrique ; et les exportateurs africains ne trouveraient pas ailleurs des marchés aussi vastes et régis par des règles pour leur futur hydrogène et leurs métaux de batteries. Comme l’a rappelé le commissaire Jozef Síkela après la réunion ministérielle UE-UA de mai, « les avenirs de l’Europe et de l’Afrique sont intimement liés : nous transformons le potentiel en opportunités pour les entreprises et les populations des deux continents ».
Recherche, innovation et diplomatie silencieuse de la science
Au-delà des briques et des turbines, les décideurs reconstruisent la confiance dans les amphithéâtres et les laboratoires. Lancée en mai, l’Initiative Afrique III d’Horizon Europe alloue 500,5 millions d’euros à vingt-quatre appels exigeant la participation d’institutions africaines. En parallèle, les dispositifs de mobilité Erasmus+ orientent des doctorants africains vers des programmes européens de technologies climatiques, tout en finançant des chercheurs européens à Addis-Abeba et Maputo pour intégrer des cursus verts.
Depuis 2023, le Dialogue politique de haut niveau UA-UE opère un Agenda commun de l’innovation qui considère explicitement la science, la technologie et l’innovation comme « un atout stratégique pour les deux unions ». À l’heure où la rivalité des grandes puissances se traduit souvent par une instrumentalisation de la technologie, la capacité de Bruxelles et d’Addis-Abeba à publier des feuilles de route communes sur la génomique de santé publique ou les satellites d’observation de la Terre offre un dividende de paix modeste mais mesurable.
Flux de capitaux et mobilité humaine : une autoroute à double sens
La finance africaine n’est plus une histoire d’aide unidirectionnelle. Le 9 juillet prochain, Guaranty Trust Holding Company doit devenir la première banque nigériane à coter directement ses actions ordinaires à la Bourse de Londres après une offre de 100 millions de dollars, son directeur Segun Agbaje qualifiant la City de « marché naturel pour une institution centrée sur l’Afrique ». L’admission de l’Afrique de l’Ouest à la Banque européenne pour la reconstruction et le développement – le Nigeria, la Côte d’Ivoire et le Bénin ont rejoint en mai – réinjectera des euros de l’autre côté de la Méditerranée au profit de lignes de crédit climatiques et de fonds propres pour PME.
Les transferts diasporiques inversent également le schéma traditionnel. Un document de travail de la Banque africaine de développement, publié en mars 2025, évalue les remises de fonds annuelles à plus de 80 milliards de dollars, déjà supérieures à l’aide publique au développement et à la plupart des catégories d’investissements directs étrangers. Confrontés au vieillissement démographique, les Trésors européens perçoivent de plus en plus la mobilité des compétences africaines non comme une menace, mais comme une nécessité macro-économique, sentiment reflété dans le communiqué UE-OACPS du 1er juillet qui qualifie les remises de fonds et l’investissement diasporique « d’instruments de financement innovants » pour les ODD.
Construire un dividende de paix fondé sur les règles
La troisième réunion ministérielle UE-UA, à Bruxelles, a confirmé que, malgré « une dynamique mondiale en mutation et la concurrence géo-économique », les deux unions se considèrent toujours comme des partenaires de premier ordre en matière de commerce, de sécurité et de gouvernance. Le langage du communiqué – « valeurs partagées, respect mutuel et intérêts communs » – dépasse la rhétorique, à la lumière des chiffres : 309 milliards d’euros de stock d’IDE européens en Afrique et le statut de quatrième marché extérieur pour le continent européen.
Pourtant, l’interdépendance n’est pas automatiquement équitable. Le président sud-africain Cyril Ramaphosa a rappelé, en mars, aux dirigeants européens en visite que « les relations de l’Afrique avec l’Union européenne doivent reposer sur un partenariat mutuellement bénéfique », tandis qu’Ursula von der Leyen admettait la nécessité de « consolider ce partenariat dans un moment de confrontation accrue ». Les négociations sur l’accès réciproque aux marchés dans le cadre de la Zone de libre-échange continentale africaine, ainsi que le plaidoyer commun pour la réforme des banques multilatérales, testeront la capacité de cette rhétorique à se traduire en équilibre institutionnel durable.
Opportunité sans illusion
Les relations euro-africaines du XXIᵉ siècle sont dénuées de romantisme, transactionnelles et de plus en plus symétriques. L’Europe apporte des marchés de capitaux profonds, une certitude réglementaire et une puissance de recherche ; l’Afrique fournit la croissance, les ressources et une main-d’œuvre jeune. Aucun des deux continents ne peut se permettre le luxe de la nostalgie ou du ressentiment : les échéances climatiques, les retombées sécuritaires et l’arithmétique démographique imposent des délais tangibles.
Le passif historique du colonialisme n’est pas effacé par des communiqués ministériels ou des électrolyseurs à hydrogène. Mais les indices, du Cap à Casablanca, montrent qu’un pragmatisme commercial érode l’aliénation idéologique. Pour les diplomates européens soucieux d’autonomie stratégique comme pour les dirigeants africains en quête d’industrialisation sans dépendance, le nouveau mot d’ordre n’est plus la charité, mais le co-investissement. C’est dans cette équation sobre que se trouve le terreau fertile où les cœurs – et les intérêts – peuvent à nouveau converger.