Ce qu’il faut retenir
Quand les délégués du cinquième Congrès panafricain prennent place dans l’ancienne mairie de Chorlton-on-Medlock, entre le 15 et le 21 octobre 1945, la Seconde Guerre mondiale vient de s’achever. Ils formulent une ambition simple et spectaculaire : tourner la page du colonialisme et bâtir un ordre plus juste pour les peuples d’origine africaine.
Un tournant historique pour le panafricanisme
Le panafricanisme, né au XIXᵉ siècle, avait déjà tenu quatre rencontres internationales entre Londres, Paris, Bruxelles, Lisbonne et New York. Pourtant, la session de Manchester marque une rupture. Elle conjugue la lassitude d’un conflit mondial à l’expérience militante de communautés noires structurées au Royaume-Uni, offrant à la cause anticoloniale un retentissement inédit.
Plus qu’une simple conférence, l’événement devient un laboratoire stratégique. Au terme d’une semaine de débats, les participants s’entendent sur la nécessité d’unir ouvriers, intellectuels et dirigeantes féministes dans un front commun. La déclaration finale réclame l’autodétermination des colonies, l’égalité raciale et des salaires décents, des mots qui résonneront dans tous les hémicycles d’Afrique.
Pourquoi Manchester a ouvert ses portes
La ville industrielle abritait depuis plusieurs décennies une importante diaspora afro-caribéenne. Son économie nocturne, portée par les établissements de l’entrepreneur Ras T. Makonnen, fournissait chambres, repas et lieux de rencontre aux visiteurs. Makonnen, trésorier du Congrès, mobilise ses réseaux et convainc son ami, le théoricien George Padmore, de choisir Manchester plutôt qu’une capitale impériale.
La logistique n’est qu’une partie de l’équation. Les archives locales montrent une concentration de librairies, cafés et associations animés par des étudiants africains et caribéens. Ce terrain fertile facilite l’accueil de plus de cinquante organisations, de la Women’s International League for Peace and Freedom au Communist Party of Great Britain, réunies derrière un même mot d’ordre : briser les chaînes coloniales.
Des figures appelées à diriger l’Afrique
Le Congrès réunit un casting exceptionnel. À la tribune siège W. E. B. Du Bois, vétéran du premier rassemblement de 1919. Dans la salle, Kwame Nkrumah, Hastings Banda et Jomo Kenyatta peaufinent les stratégies qui les conduiront, quelques années plus tard, à la présidence du Ghana, du Malawi et du Kenya.
Autour d’eux gravitent Obafemi Awolowo, l’écrivaine féministe Amy Ashwood Garvey, l’ANCiste sud-africain Peter Abrahams ou encore Lamina Sankoh de Sierra Leone. La diversité des origines, du Nigeria au Sri Lanka, illustre l’ampleur d’un mouvement qui dépassait largement les frontières linguistiques et impériales.
Résolutions et portée politique
Contrairement aux précédentes éditions dominées par des élites bourgeoises, Manchester ouvre la porte aux travailleurs, aux femmes et aux étudiants. Les débats débouchent sur un texte exigeant l’abolition immédiate de la domination coloniale. Il appelle à la nationalisation des industries clés et à la redistribution des terres, positions jugées radicales pour l’époque.
L’impact n’est pas instantané, mais il est durable. Vingt-cinq ans plus tard, la quasi-totalité des territoires représentés en 1945 auront conquis leur souveraineté. Nombre d’historiens considèrent le Congrès comme le catalyseur d’une vague d’indépendances qui redessine la carte politique du continent dans les années 1950-1960.
Résonances contemporaines
Les revendications portées à Manchester demeurent étonnamment actuelles. Les organisateurs réclamaient déjà une justice économique globale et des formes de réparation. Aujourd’hui, les débats sur la gouvernance des matières premières, la dette et le climat prolongent ce dialogue inachevé entre développement et équité.
Pour Harry Eyres, spécialiste des archives du Ahmed Iqbal Ullah RACE Centre, la principale leçon tient à la capacité d’organisation transnationale. Elle inspire encore les mouvements sociaux, qu’ils s’engagent contre le racisme systémique en Europe ou militent pour une représentation africaine accrue dans les institutions multilatérales.
Vers le prochain anniversaire
À l’approche du quatre-vingtième anniversaire, universités, collectivités et centres d’archives de Manchester programment colloques, expositions et débats publics. Les organisateurs veulent interroger la portée actuelle des notions d’autodétermination et de leadership culturel, rappelant que le Congrès n’était ni un point final ni un monument figé.
La mairie de Manchester, soutien des commémorations, insiste sur la nécessité de mieux faire connaître cet épisode fondateur au-delà d’une plaque discrète apposée sur le bâtiment d’origine. Pour Maya Sharma, directrice du même centre d’archives, intégrer le Congrès au récit civique local contribuerait à réinscrire les communautés noires dans la mémoire urbaine.

