Maurice-Madagascar : la subtile bataille pour Ravatomanga

Jean-Baptiste Ngoma
5 mn de lecture

Une diplomatie judiciaire en haute mer

Port-Louis n’a pas déroulé le tapis rouge, mais l’ancienne présidente de l’Ordre des avocats de Madagascar, Fanirosoa Ernaivo, a été reçue sans délai par les autorités mauriciennes. Mandatée par Antananarivo, elle pilote des discussions techniques destinées à faire aboutir la procédure visant l’homme d’affaires Mamy Ravatomanga, actuellement installé sur l’île sœur.

Le mandat d’arrêt contesté

Selon l’émissaire, la justice malgache a délivré un mandat d’arrêt international à la suite du départ précipité de l’entrepreneur, empêchant toute comparution devant les juges de la Grande Île. Ce point est toutefois nuancé par le parquet du pôle anti-corruption malgache, qui a démenti en partie l’existence du document (RFI, 10 juin 2024).

Un milliardaire sous les radars

Fondateur du groupe Sodiat et réputé proche de plusieurs cercles politiques malgaches, Mamy Ravatomanga doit répondre d’allégations liées à des flux financiers considérables. À Maurice, la Financial Crimes Commission a ouvert une enquête pour blanchiment présumé, exigeant son audition dans les prochains jours (L’Express de Maurice, 11 juin 2024).

Les preuves au cœur du dialogue

Fanirosoa Ernaivo affirme transmettre, en temps réel, un dossier volumineux d’éléments bancaires et notariés visant à étayer la nécessité de poursuites. « Nous voulons garantir que la justice puisse s’exercer pleinement, dans le respect des standards internationaux », confie-t-elle à la presse locale, rappelant que l’entraide prévue par la Convention de Riyad sur l’extradition demeure facultative.

Port-Louis joue la carte procédurale

Du côté mauricien, les autorités se déclarent ouvertes, mais insistent sur la solidité formelle du mandat. La Cour suprême ne statuera qu’au regard de la légalité des pièces fournies et de la non-violation des droits fondamentaux du suspect. Le bureau du Procureur général observe qu’une urgence politique ne saurait supplanter les garanties constitutionnelles.

Enjeux politiques à Antananarivo

À Madagascar, l’opposition voit dans cette affaire un test de la volonté du pouvoir de lutter contre la grande corruption. Pour le gouvernement, il s’agit d’un signal adressé aux bailleurs internationaux à quelques mois d’importantes négociations budgétaires. Mamy Ravatomanga, qui a financé plusieurs projets de mécénat culturel, conserve néanmoins un réseau d’alliés influents.

Dimension régionale et rôle de la COI

La Commission de l’océan Indien, dont les deux États sont membres, encourage depuis 2015 un mécanisme de partage d’informations financières. L’affaire Ravatomanga pourrait constituer le premier stress-test de ce dispositif, encore largement théorique. À ce stade, la COI se contente d’un suivi discret, aucune médiation formelle n’étant envisagée.

Précédents jurisprudentiels mauriciens

Depuis l’affaire Sudham Boonhun en 2018, Maurice applique strictement les critères de double incrimination et de proportionnalité. Les juristes notent que le dossier malgache devra prouver que les faits reprochés sont sanctionnés des deux côtés du canal du Mozambique, sous peine de rejet pur et simple par la Haute cour.

Scénarios à courte échéance

Trois issues dominent les discussions informelles : la remise volontaire de l’intéressé, un rejet de la demande pour vice de forme, ou un ajournement au profit de la procédure mauricienne de lutte contre le blanchiment. Dans ce dernier cas, Antananarivo devrait patienter jusqu’à la conclusion d’un procès local, qui pourrait durer plusieurs années.

Impact sur l’image de Maurice

Le portail financier mauricien, déjà sous pression du Forum mondial de l’OCDE, cherche à éviter l’étiquette de refuge pour capitaux douteux. Exécuter la requête malgache renforcerait sa réputation, mais engagerait également l’État dans un contentieux complexe, potentiellement source de recours internationaux.

Le calcul prudent de Fanirosoa Ernaivo

L’envoyée spéciale privilégie un langage juridique dénué d’accusations politiques, consciente que toute pression publique pourrait braquer ses interlocuteurs. Les observateurs saluent une approche conciliatrice, éloignée des polémiques qui avaient entouré, en 2021, le dossier d’extradition de l’homme d’affaires burundais Nkurunziza.

Vers une standardisation de l’entraide pénale

L’océan Indien reste l’un des maillons faibles de la coopération judiciaire africaine. L’instauration annoncée d’un registre régional des mandats d’arrêt vise à combler ce vide. Le cas Ravatomanga servira de matrice pour évaluer l’efficacité et la rapidité du futur système, encore à l’état de projet dans les chancelleries.

Une affaire à suivre

Le calendrier dépend désormais de la livraison complète des documents malgaches et de l’agenda de la Financial Crimes Commission. Si les auditions démarrent cette semaine, une décision sur l’éventuelle arrestation provisoire pourrait intervenir avant la fin du mois. Les chancelleries européennes, intéressées par la traçabilité des flux, observent attentivement la suite des événements.

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Jean-Baptiste Ngoma est éditorialiste économique. Diplômé en économie appliquée, il suit les grandes tendances du commerce intra-africain, les réformes structurelles, les dynamiques des zones de libre-échange et les flux d’investissements stratégiques. Il décrypte les enjeux macroéconomiques dans une perspective diplomatique et continentale.