Menace de frappe US au Nigeria : décryptage d’une escalade

Jean-Baptiste Ngoma
5 mn de lecture

Ce qu’il faut retenir

L’annonce de Donald Trump de préparer une action militaire au Nigeria a surpris Abuja et la communauté internationale. L’ancien président américain affirme vouloir protéger les chrétiens prétendument victimes d’un génocide, alors que les données de terrain montrent une violence qui frappe aussi les musulmans. Le débat révèle les tensions entre perception politique et réalité sécuritaire.

Genèse d’une menace américaine

Dans un message diffusé samedi, Trump dit avoir demandé au « Department of War » de plancher sur une intervention « rapide et brutale ». Il assortit sa menace de la coupure de l’aide américaine et place le Nigeria sur la liste des « Countries of Particular Concern », sanctionnant les violations graves de la liberté religieuse.

La réponse d’Abuja

Le président Bola Tinubu défend la tolérance religieuse et rappelle que les défis sécuritaires touchent « toutes les communautés, tous les territoires ». Jusqu’ici, aucune réponse officielle ne mentionne la préparation militaire américaine, mais le chef de l’État nigérian se dit disposé à coopérer avec Washington pour protéger chaque citoyen, quelle que soit sa foi.

Terrain de violence complexe

Depuis 2009, Boko Haram et sa branche État islamique en Afrique de l’Ouest ensanglantent le Nord-Est. Les données d’Acled indiquent que les victimes sont majoritairement musulmanes. Dans le centre, le conflit éleveurs-agriculteurs, aux connotations religieuses, alimente un cycle de représailles meurtrières. Les ONG estiment qu’aucune preuve ne confirme une persécution systématique des seuls chrétiens.

Lecture politique à Washington

Aux États-Unis, certains cercles conservateurs dénoncent depuis des mois un « génocide chrétien » au Nigeria. En pleine année électorale fédérale, la rhétorique de Trump galvanise une base évangélique cruciale. Le recours au registre religieux permet aussi à l’ancien président de se démarquer de la diplomatie plus prudente de l’administration actuelle.

Un précédent dans la politique américaine

La loi américaine sur la liberté religieuse internationale autorise sanctions et pressions diplomatiques. Mais les opérations militaires unilatérales demeurent rares hors du Moyen-Orient. L’Irak en 2014, lorsque Barack Obama lança des frappes pour protéger les Yazidis, reste la comparaison la plus citée. À ce stade, aucune planification opérationnelle n’a été confirmée par le Pentagone.

Marge de manœuvre d’Abuja

Tinubu, qui affronte déjà l’inflation et la contestation sociale, ne peut ignorer la puissance dissuasive américaine. Il mise sur la coopération sécuritaire existante : partage de renseignements, fourniture de drones et formation des forces spéciales. Un dialogue renforcé avec les leaders religieux vise à désamorcer la grille de lecture confessionnelle imposée depuis l’étranger.

Répercussions régionales

Une intervention américaine modifierait le rapport de forces au Sahel et dans le Golfe de Guinée, zones où les groupes jihadistes cherchent des sanctuaires. Les voisins, du Niger au Cameroun, observent avec prudence. Toute action perçue comme un soutien exclusif aux chrétiens pourrait alimenter la propagande extrémiste et fragiliser les efforts multilatéraux de la CEDEAO et de l’Union africaine.

Entre perception et réalité

Les chiffres d’Acled montrent qu’en 2023 les violences intercommunautaires et jihadistes ont fait plus de 4 000 morts, musulmans et chrétiens confondus. Les experts soulignent que la radicalisation est alimentée par la pauvreté, la compétition foncière et la faible présence de l’État. Réduire la crise à une seule dimension confessionnelle risque d’ignorer ses ressorts socio-économiques.

Quel avenir pour la diplomatie nigériane ?

Abuja peut compter sur son poids démographique, sa contribution aux opérations de paix africaines et son rôle clé dans les marchés de l’énergie pour éviter une confrontation directe. En diversifiant ses partenariats – Union européenne, Chine, Golfe – le Nigeria cherche à diluer la pression d’une éventuelle décision américaine. Reste à convaincre Washington que coopération vaut mieux qu’escalade.

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Jean-Baptiste Ngoma est éditorialiste économique. Diplômé en économie appliquée, il suit les grandes tendances du commerce intra-africain, les réformes structurelles, les dynamiques des zones de libre-échange et les flux d’investissements stratégiques. Il décrypte les enjeux macroéconomiques dans une perspective diplomatique et continentale.