Minusca menacée : bras de fer budgétaire à l’ONU

Jean-Baptiste Ngoma
6 mn de lecture

Ce qu’il faut retenir

La Centrafrique s’est invitée à l’agenda du Conseil de sécurité le 28 octobre, deux mois exactement avant des élections locales, législatives et présidentielle jugées cruciales. Au cœur des débats, la pérennité de la Minusca, fragilisée par une cure d’austérité imposée au système onusien et un projet de réduction d’un tiers de ses effectifs.

Face à la persistance des violences dans le sud-est, où opère la milice Zande, et dans le nord-est en proie à des incursions armées depuis le Soudan, la majorité des quinze membres estiment qu’un affaiblissement du dispositif compromettrait le processus électoral, déjà confronté à un déficit de plus de 12 millions de dollars.

New York reconsidère la présence onusienne en RCA

Depuis la table ovale des Nations unies, la cheffe de la Minusca, Valentine Rugwabiza, a dressé un bilan sans fard. « Pour répondre aux contraintes budgétaires, nous avons déjà réduit de 15 % nos dépenses », a-t-elle rappelé, soulignant des « difficultés majeures » à remplir le mandat de protection des civils et de soutien aux institutions centrafricaines.

Budget serré, marge de manœuvre réduite

La cure imposée par Washington, premier contributeur financier de l’ONU, a déjà touché d’autres opérations de paix. Pour la mission centrafricaine, un scénario amputerait plus d’un tiers du personnel, soit l’une des coupes les plus sévères envisagées dans l’architecture onusienne actuelle. Dans l’hémicycle, plusieurs délégations estiment que l’équation arithmétique risque d’éclipser la réalité sécuritaire.

Enjeux sécuritaires persistants dans le sud-est et le nord-est

Le débat n’est pas abstrait : à l’approche du scrutin, le sud-est demeure sous la menace de la milice Zande, tandis que le nord-est subit des pénétrations d’hommes armés venus du Soudan, créant un risque de contagion régionale. C’est dans ces zones que les convois électoraux doivent circuler et que les bureaux de vote doivent être sécurisés.

Calendrier électoral sous pression financière

Bangui doit encore mobiliser plus de 12 millions de dollars pour les opérations logistiques et la formation du personnel électoral. Le chronomètre tourne : la campagne s’ouvre dans quelques semaines et les bulletins doivent être acheminés sous escorte. Dans cette configuration, la Minusca reste, selon plusieurs diplomates, « le dernier rempart organisationnel » du processus.

Bangui et ses alliés montent au créneau

Avant même la réunion, le président Faustin-Archange Touadéra a adressé une lettre au Conseil, soulignant que la mission reste « un rare exemple d’espoir » pour ses concitoyens. Son représentant à New York a renchéri, jugeant qu’une diminution des capacités « affaiblirait les fondements de la stabilité ». Sur les bancs du Conseil, la Russie a repris l’argument : « La mission ne doit pas devenir l’otage de la situation financière de l’ONU ».

Premières lignes de fracture au Conseil

Si la plupart des États s’alignent sur l’appel de Bangui, des voix plus réservées suggèrent une approche graduelle, conciliant austérité et besoins sécuritaires. Les États-Unis, à l’origine des restrictions, n’ont pas encore dévoilé l’ampleur des économies qu’ils jugent acceptables. Des consultations à huis clos se poursuivent pour calibrer une éventuelle réduction qui préserverait la protection des civils.

Scénarios d’ici au vote de novembre

Trois pistes dominent les coulisses onusiennes : conserver l’effectif actuel, réduire la composante civile tout en épargnant les casques bleus, ou entériner la coupe d’un tiers du personnel telle que proposée. À chaque hypothèse correspondent des implications financières et opérationnelles différentes, mais toutes nécessitent une révision du concept d’opération avant le démarrage formel de la campagne électorale.

Les dilemmes de Valentine Rugwabiza

La cheffe de mission jongle désormais entre urgence budgétaire et impératif sécuritaire. Selon elle, d’autres arbitrages internes ont atteint leurs limites : les transports aériens sont rationalisés, les patrouilles nocturnes mutualisées et les programmes communautaires reportés. Toute nouvelle contraction, prévient-elle, frapperait « directement la capacité à protéger les populations et à sécuriser le vote ».

Enjeux pour la légitimité onusienne

Au-delà de la Centrafrique, l’issue du débat pèsera sur la crédibilité des Nations unies en matière de maintien de la paix. Plusieurs délégations redoutent un précédent qui ferait de l’enveloppe budgétaire le critère déterminant, reléguant au second plan l’évaluation des besoins sur le terrain. Pour beaucoup, la Minusca apparaît comme un test grandeur nature de cette nouvelle logique.

Chronologie serrée avant le scrutin

Le mois de novembre s’annonce décisif : le Conseil doit voter le renouvellement du mandat, intégrer ou non les coupes, et fixer les paramètres de suivi. Dans le même temps, la Commission électorale centrafricaine publiera les listes définitives des candidats. Cette convergence de calendriers risque d’accentuer la pression sur les capitales membres, sommées de trancher rapidement.

À suivre

À New York comme à Bangui, tous les regards sont désormais tournés vers la résolution que le Conseil présentera dans quelques semaines. Qu’elle entérine ou non la réduction d’effectifs, elle conditionnera la sécurisation des bureaux de vote, l’acheminement du matériel et la confiance des électeurs. Pour l’heure, le compte à rebours a commencé, et chaque jour pèse sur la balance.

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Jean-Baptiste Ngoma est éditorialiste économique. Diplômé en économie appliquée, il suit les grandes tendances du commerce intra-africain, les réformes structurelles, les dynamiques des zones de libre-échange et les flux d’investissements stratégiques. Il décrypte les enjeux macroéconomiques dans une perspective diplomatique et continentale.