Contexte historique discret mais déterminant
L’axe Paris-Alger a longtemps été décrit comme un tête-à-tête chargé de mémoire, où la guerre d’indépendance de 1954-1962 continuait de projeter son ombre sur chaque visite officielle, chaque négociation énergétique et chaque débat migratoire.
Selon le journal algérien Twala, la crispation actuelle ne se réduirait plus à cette mémoire douloureuse mais s’inscrirait dans une nouvelle donne géopolitique où l’Algérie revendique une souveraineté stratégique face aux anciens réflexes d’influence française (Twala).
La légitimité interne du régime algérien s’est, depuis six décennies, appuyée sur une rhétorique de dignité nationale et de rupture avec l’ancienne puissance coloniale, élément clé pour une jeunesse qui n’a connu ni la guerre ni la tutelle mais demeure sensible aux marqueurs identitaires.
Silence diplomatique et gestes symboliques français
Depuis le rappel de l’ambassadeur d’Algérie à Paris, l’échange d’amabilités s’est raréfié. La participation du diplomate aux commémorations du 17 octobre 1961, de même que les déclarations conciliantes du nouveau ministre français de l’Intérieur Laurent Nuñez, n’ont pas suscité la moindre réponse officielle d’Alger (Twala).
Ce mutisme est interprété par Twala comme un signal : Alger estime pouvoir choisir son tempo et ses interlocuteurs, sans se sentir sommé de commenter chaque geste symbolique venu de Paris. La France découvre ainsi qu’elle ne tient plus, seule, le récit de la relation bilatérale.
Sur le plan intérieur, cette posture s’inscrit dans la continuité d’un discours d’égal à égal qui rassure une opinion publique plutôt rétive aux appels à la réconciliation tant que subsiste le soupçon de hiérarchie post-coloniale. Le pouvoir alimente donc une « zone de silence » stratégiquement entretenue.
Une recomposition des alliances africaines
L’Algérie ne tourne pas le dos au passé pour se refermer, elle diversifie ses partenariats. Sa coopération militaire avec la Russie, ses ouvertures économiques vers la Chine et la Turquie, ou encore ses investissements dans la diplomatie énergétique méditerranéenne redessinent un échiquier où Paris n’est plus pivot unique.
Cette dé-fragmentation des dépendances offre à Alger des marges de manœuvre nouvelles. Elle s’inscrit aussi dans un mouvement continental où, du Sahel au Golfe de Guinée, plusieurs capitales questionnent leurs liens historiques avec la France en cherchant des interlocuteurs multiples, souvent d’Asie ou du Moyen-Orient.
Pour Paris, l’enjeu consiste dès lors à réinventer une offre qui reconnaisse ces autonomies sans dramatiser la concurrence. Les gestes mémoriels, utiles, ne sauraient suffire si des propositions concrètes sur la transition énergétique, la sécurisation des routes migratoires ou la formation de cadres africains ne suivent pas.
L’économie gazière, fondement traditionnel du lien Paris-Alger, illustre ce glissement. Alors que l’Europe cherche à sécuriser son approvisionnement post-ukrainien, Sonatrach négocie aussi avec Rome, Madrid ou Pékin, renforçant ainsi un pouvoir de négociation que les seuls volumes acheminés vers la France ne suffisent plus à encadrer.
Inventer un nouveau cadre bilatéral
Twala suggère que le moment est venu pour les deux capitales d’abandonner le face-à-face sentimental au profit d’un partenariat inscrit dans l’architecture africaine émergente, où l’Union africaine, la Ligue arabe et des groupements régionaux fixent des agendas communs en matière de sécurité, de mobilité et de climat.
Cela impliquerait, côté français, d’accepter un dialogue sur un pied d’égalité, quitte à renoncer à certains réflexes de tutelle ; et, côté algérien, de sortir d’un silence qui, s’il conforte la souveraineté, risque à terme d’entretenir les malentendus et de priver Alger d’alliés dans les instances multilatérales.
En définitive, la « zone de silence » pourrait devenir un laboratoire diplomatique. Son issue, encore ouverte, dépendra de la capacité des deux pays à transformer la mémoire en levier plutôt qu’en frontière. Pour l’heure, le temps algérien n’est plus celui de Paris, et c’est là toute la nouveauté.

