Paris: la riposte féministe se construit face aux reculs

Jean-Baptiste Ngoma
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Ce qu’il faut retenir

Réunis les 22 et 23 octobre à Paris, ministres, diplomates et activistes de quatre continents ont renouvelé l’idée, née en Suède en 2014, d’une diplomatie féministe. Dans un climat jugé préoccupant, ils cherchent à replacer l’égalité femmes-hommes au cœur des négociations internationales, de la paix à la finance climatique.

La session finale doit accoucher d’une déclaration politique qui réaffirme l’engagement des États signataires et trace un agenda de suivi. Pour les délégations africaines – Bénin, Rwanda, Liberia, Maroc – l’enjeu est double : maintenir les financements dédiés, et faire entendre une voix continentale sur les questions de genre.

Contexte mondial du recul des droits

Dix ans après son lancement par l’ancienne ministre suédoise Margot Wallström, le concept paraît plus nécessaire que jamais. De Washington à Varsovie, la remise en cause des droits reproductifs, la restriction des espaces civiques et la montée de discours anti-genre illustrent une dynamique de repli qui transcende les clivages Nord-Sud.

Depuis l’annulation partielle de l’arrêt Roe v. Wade aux États-Unis, plusieurs pays ont vu resurgir des projets de lois limitant l’accès à l’avortement ou restreignant le financement de programmes d’éducation sexuelle. Pour Éléonore Caroit, secrétaire d’État chargée de la Francophonie, cette conjoncture exige « un message très fort en faveur des femmes et des filles ».

Acteurs africains à Paris

Au sein du contingent africain, la militante béninoise Bénédicte Aloakinnou alerte sur la double vulnérabilité de ses consœurs : multiplication des violences sexuelles et « criminalisation de l’espace civique ». Pour elle, la diplomatie féministe ne peut se réduire à des communiqués ; elle doit se co-construire « de Cotonou à Paris » avec les organisations locales.

Le Rwanda, présenté comme pionnier en matière de représentation parlementaire féminine, s’appuie sur son expérience domestique pour plaider un suivi rigoureux des indicateurs. Le Liberia, porté par l’héritage d’Ellen Johnson-Sirleaf, insiste sur la nécessité de lier diplomatie féministe et consolidation de la paix, notamment dans les zones frontalières encore fragiles.

Quant au Maroc, il met en avant son initiative « Icône » destinée à former une génération de médiatrices capables d’intervenir dans les contextes de crise sahélienne. Les diplomates de Rabat soulignent l’opportunité d’articuler ces modules avec les mécanismes de l’Union africaine et du Conseil de paix et de sécurité.

Diplomatie féministe : agenda partagé

Au-delà des discours, les délégations entendent préciser un cadre opérationnel. L’une des pistes discutées est l’inscription systématique d’analyses de genre dans les budgets de coopération. Les bailleurs envisagent aussi de cibler les organisations dirigées par des jeunes femmes, souvent exclues des grands appels à projets en raison de leur taille.

De plus, l’idée d’une task-force intergouvernementale chargée de suivre les engagements financiers refait surface. Inspiré du Partenariat de Biarritz pour l’égalité, l’outil viserait à publier un tableau de bord annuel, accessible aux ONG. Les délégations africaines y voient un moyen de détecter plus tôt les coupes budgétaires et de mieux négocier.

La question de la sécurité numérique des défenseuses des droits humains, menacées par la surveillance ou le harcèlement en ligne, s’invite également dans l’agenda. Plusieurs oratrices ont appelé à financer des cyber-refuges régionaux, où les organisations pourraient héberger données sensibles et formations, loin des jurictions répressives.

Scénarios post-sommet

La déclaration finale devrait confirmer le principe d’« alignement vert et violet » qui associe transition écologique et justice de genre. Si le texte reste politiquement non contraignant, il fournira une base pour l’Assemblée générale de l’ONU 2025, où plusieurs pays africains comptent réclamer un Pacte global de soins.

À court terme, la vigilance des mouvements féministes se portera sur les lois budgétaires 2025 dans les capitales donatrices. Les ONG rappellent que les promesses de 2021 n’ont été tenues qu’à 64 %. L’épreuve des chiffres servira donc de test à ce nouvel élan diplomatique, et déterminera la crédibilité des futures coalitions.

En filigrane, le sommet rappelle qu’aucune région n’est à l’abri des contre-courants idéologiques. La mobilisation de Paris offre néanmoins un espace de coordination rare entre gouvernements et société civile, où les capitales africaines peuvent peser de tout leur poids démographique et symbolique pour maintenir l’égalité au rang des priorités globales.

Les prochaines étapes incluent une tournée de capitalisation sur le continent, à commencer par Cotonou, Kigali et Monrovia, afin de traduire la déclaration parisienne en feuilles de route nationales. Les participantes espèrent ainsi démontrer que la diplomatie féministe n’est pas un slogan occidental mais un outil africain d’innovation sociale et de compétitivité économique.

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Jean-Baptiste Ngoma est éditorialiste économique. Diplômé en économie appliquée, il suit les grandes tendances du commerce intra-africain, les réformes structurelles, les dynamiques des zones de libre-échange et les flux d’investissements stratégiques. Il décrypte les enjeux macroéconomiques dans une perspective diplomatique et continentale.