Paris séduit par le méga-aéroport éthiopien de Bishoftu

Jean-Baptiste Ngoma
6 mn de lecture

Ce qu’il faut retenir

Bishoftu, à une heure d’Addis-Abeba, pourrait devenir d’ici 2040 le plus grand aéroport d’Afrique avec 100 millions de passagers. Coût affiché : 12,7 milliards de dollars. L’Éthiopie a présenté le projet à Paris pour attirer capitaux publics et privés, avec l’appui de la Banque africaine de développement.

Paris se met au diapason de l’ambition éthiopienne

Le 3 novembre, une délégation éthiopienne composée de plusieurs ministres et chefs d’entreprise a investi un forum d’affaires Europe/Éthiopie à Paris. Objectif déclaré : convertir la place financière française et ses relais africains en partenaires stratégiques d’un chantier présenté comme « opérationnel » par l’équipe projet.

Un aéroport conçu pour 2040

Selon le ministre des Finances Ahmed Shidé, toutes les études de faisabilité confirment la rentabilité d’une plateforme calibrée pour plus de 100 millions de passagers annuels, soit cinq fois l’actuel trafic de Bolé. La nouvelle infrastructure entend capitaliser sur la croissance « naturelle » du marché aérien régional.

Le site retenu, Bishoftu, se trouve à environ soixante kilomètres de la capitale, ce qui offre des réserves foncières impossibles à trouver près d’Addis-Abeba. Les concepteurs promettent un hub logistique mêlant fret, maintenance et services, afin d’ancrer le pays enclavé au cœur des échanges intercontinentaux.

Des partenariats publics-privés ciblés

Le budget de 12,7 milliards de dollars repose sur une architecture financière mixte. Aux côtés de la Banque africaine de développement, citée parmi les premiers soutiens, Addis-Abeba courtise exportateurs de crédit, fonds d’investissement et industriels européens, à commencer par les groupes d’ingénierie et de construction déjà familiers des grands hubs aéroportuaires.

Pour Benoit Chervalier, président Afrique de Business Europe, « le but est de connecter les entreprises aux financiers ». Son message à Paris insiste sur la maturité du dossier : la phase opérationnelle, dit-il, supplante désormais la simple présentation d’intentions, un signal censé rassurer les bailleurs sur les risques.

Le rôle pivot d’Ethiopian Airlines

La compagnie nationale, déjà pilier du transport africain, sert de locomotive à l’ensemble. Avec environ 20 millions de passagers à Bolé, Ethiopian Airlines dispose d’un argumentaire solide : le nouveau terminal absorberait naturellement la croissance et renforcerait l’avantage concurrentiel accumulé sur les liaisons intracontinentales et vers l’Asie.

Contexte régional et calendrier

L’Éthiopie multiplie les infrastructures majeures quelques semaines après l’inauguration du Grand barrage de la Renaissance. Le méga-aéroport s’inscrit dans une trajectoire affirmée d’intégration économique, mais le gouvernement rappelle que les premières pierres ne seront posées qu’une fois la structure de financement définitivement scellée.

Les autorités visent une mise en service graduelle avant 2040, avec des capacités d’accueil qui monteront en puissance au rythme de la demande. Ce séquençage doit limiter les surcoûts et attirer des opérateurs spécialisés dans les extensions modulaires.

Dépendance logistique d’un pays enclavé

L’Éthiopie, sans façade maritime depuis l’indépendance érythréenne, s’appuie traditionnellement sur le corridor de Djibouti pour son commerce. En misant sur un hub aérien surdimensionné, Addis-Abeba entend diversifier ses voies de sortie et réduire les coûts logistiques qui pèsent sur la balance commerciale, notamment pour les exportations horticoles et manufacturières.

Ingénierie financière en chantier

Le montage financier envisagé inclurait des concessions à long terme pour les terminaux, le cargo et le commerce de détail, ainsi qu’un recours ciblé aux obligations vertes pour les composantes énergétiques. Les responsables éthiopiens soulignent toutefois que la clé de voûte reste la garantie souveraine, indispensable pour abaisser le coût du capital.

Enjeux de gouvernance et de durabilité

La taille de Bishoftu pose des questions de gouvernance, depuis l’acquisition des terres jusqu’à la gestion environnementale. Les concepteurs promettent un chantier conforme aux standards internationaux, mais aucune information supplémentaire n’a été communiquée sur les mécanismes de compensation ou sur l’intégration des communautés locales au futur pôle économique.

Acteurs stratégiques à l’affût

Outre les investisseurs financiers, les équipementiers spécialisés dans la navigation aérienne et les technologies de sûreté suivent de près le dossier. D’ici la clôture financière, les autorités éthiopiennes doivent publier les appels d’offres internationaux qui fixeront le périmètre des contrats, des pistes à la tour de contrôle.

Transition programmée entre Bolé et Bishoftu

L’aéroport international de Bolé restera en service, le temps que Bishoftu atteigne son régime de croisière. Les services de l’Aviation civile envisageraient un partage des vols, Bolé se spécialisant sur le domestique et Bishoftu sur l’intercontinental. Ce phasage minimiserait les perturbations d’exploitation tout en sécurisant les revenus d’Ethiopian Airlines.

Scénarios d’impact pour le continent

Si le projet se concrétise, Bishoftu pourrait redessiner la carte des flux aériens africains, en offrant une alternative aux plateformes d’Afrique australe et du Golfe. Les observateurs y voient un atout pour l’AfCFTA, même si le chantier demeure, à ce stade, tributaire d’engagements financiers encore en négociation.

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Jean-Baptiste Ngoma est éditorialiste économique. Diplômé en économie appliquée, il suit les grandes tendances du commerce intra-africain, les réformes structurelles, les dynamiques des zones de libre-échange et les flux d’investissements stratégiques. Il décrypte les enjeux macroéconomiques dans une perspective diplomatique et continentale.