Rapatriement silencieux de 277 réfugiés rwandais depuis Goma

Jean-Baptiste Ngoma
6 mn de lecture

Ce qu’il faut retenir

Dans le calme d’un mardi d’octobre, 277 réfugiés rwandais ont quitté Goma pour traverser la Grande Barrière vers Rubavu, matérialisant l’une des plus importantes opérations de rapatriement volontaire depuis l’est de la RDC. Coordonnée par le HCR avec Kigali et Kinshasa, l’initiative confirme la montée en puissance d’une diplomatie humanitaire pragmatique.

Chronologie d’une coopération tripartite

Les traversées de la semaine prolongent un processus lancé en juin à Addis-Abeba, où la RDC, le Rwanda et le HCR avaient acté un plan d’action commun. Une première vague, en août, avait déjà permis le retour de 532 réfugiés. Trois mois plus tard, le cap des 800 personnes rapatriées est franchi, illustrant une mise en œuvre graduelle des engagements pris.

Logistique transfrontalière à Rubavu

Au poste-frontière de la Grande Barrière, les autorités rwandaises ont déployé un dispositif allégé mais efficace. Le maire de Rubavu, Prosper Mulindwa, a accueilli les 94 familles avant leur transfert au centre de transit de Nyarushishi, dans le district de Rusizi. Cette halte temporaire offre soins médicaux, kits alimentaires et accompagnement administratif avant la réinstallation définitive.

Un mouvement qui s’accélère

Le convoi d’octobre porte à plus de 800 le nombre de retours volontaires depuis août. Si le volume reste modeste au regard des quelque 200 000 réfugiés rwandais que le HCR recense encore en RDC, la dynamique actuelle dénote un regain de confiance entre les parties prenantes et laisse présager un rythme plus soutenu à mesure que les garanties de sécurité se consolident.

Asymétrie des flux

En sens inverse, près de 100 000 Congolais demeurent réfugiés au Rwanda. Kinshasa insiste néanmoins sur l’absence de données vérifiables, soulignant que nombre de personnes pourraient être des migrants économiques ou des déplacés internes. Cette divergence statistique entretient une prudence mutuelle, même si le ton diplomatique entre les deux capitales s’est nettement adouci ces dernières semaines.

De Washington à Doha, diplomatie en coulisses

Le dossier des réfugiés s’entremêle aux discussions sécuritaires conduites à Washington et à Doha autour de la situation dans l’est congolais. Ces forums, centrés sur le désarmement des groupes armés et la stabilisation transfrontalière, considèrent le retour volontaire comme un indicateur de décrispation et un atout pour réduire les recrutements illégaux dans les camps.

Feuille de route 2025-2026 : garanties et étapes

Signée en juillet, la feuille de route 2025-2026 répartit clairement rôles et responsabilités. Kigali s’engage à l’enregistrement biométrique et à la réinsertion, Kinshasa à la sécurisation des axes de départ, et le HCR à l’escorte ainsi qu’au suivi post-retour. La démarche mise sur la transparence pour assurer sécurité, dignité et traçabilité des volontaires.

Enjeux humains au-delà des chiffres

Sous les foulards colorés, des femmes serrent des documents du HCR qu’elles brandissent comme un passeport vers la normalité. Les récits recueillis évoquent l’espoir de retrouver des terres laissées depuis des années, mais aussi la crainte de repartir de zéro. L’accompagnement psychosocial et la restauration des moyens de subsistance seront déterminants pour éviter de nouveaux déplacements.

Quelle réception au Rwanda ?

Au centre de Nyarushishi, les familles bénéficient d’un hébergement de six semaines en moyenne. Les autorités locales valorisent l’accès rapide aux écoles et aux soins comme catalyseur d’intégration. Les programmes agricoles mis à disposition dans les districts ruraux voisins offrent des parcelles collectives afin de diminuer la dépendance à l’aide humanitaire.

Le regard de Kinshasa

Soucieuse de ne pas laisser planer d’ambiguïté, la partie congolaise affirme poursuivre la vérification des listes afin d’éviter toute récupération politique. L’enjeu est d’autant plus sensible que les opérations se déroulent dans une zone où la présence de groupes armés continue de perturber les axes routiers, compliquant parfois l’acheminement des convois sécurisés.

Un climat régional en quête d’apaisement

La cadence régulière des retours volontaires contribue à décrisper un contexte marqué par des accusations récurrentes d’ingérence. Chaque convoi validé par les trois parties renforce l’idée qu’une approche graduelle, basée sur l’accord mutuel et l’accompagnement international, peut réduire la méfiance tout en améliorant les conditions de vie des populations frontalières.

Prochaines étapes et scénarios

Si la tendance se maintient, les parties espèrent doubler le nombre de retours sur les six prochains mois. Le défi majeur sera la mobilisation de financements pour l’accueil et la réintégration. Les partenaires misent sur une contribution élargie des bailleurs afin de pérenniser les acquis et de maintenir l’élan humanitaire, sans que la stabilité régionale ne se retrouve fragilisée.

Partager l'article
Jean-Baptiste Ngoma est éditorialiste économique. Diplômé en économie appliquée, il suit les grandes tendances du commerce intra-africain, les réformes structurelles, les dynamiques des zones de libre-échange et les flux d’investissements stratégiques. Il décrypte les enjeux macroéconomiques dans une perspective diplomatique et continentale.