Rapatriements forcés : 71 enfants enfin réunis à Juba

Jean-Baptiste Ngoma
5 mn de lecture

Ce qu’il faut retenir

La guerre civile qui a éclaté en avril 2023 au Soudan a jeté sur les routes plus d’un million de personnes, dont 800 000 Sud-Soudanais (UNHCR 2023). La semaine dernière, Khartoum a lancé une vaste opération d’arrestations d’étrangers sans titre de séjour. Au moins 300 Sud-Soudanais ont été refoulés par le poste-frontière de Joda, laissant des mineurs livrés à eux-mêmes.

Mardi 21 octobre, 71 enfants récupérés dans la capitale soudanaise ont été réunis avec leurs mères à Juba. Le comté frontalier de Renk, qui a supervisé le convoi, demande désormais que tout futur rapatriement se fasse « dans le respect de l’unité familiale ».

Campagne de rapatriement forcé au Soudan

Les autorités soudanaises affirment viser près de 20 000 ressortissants étrangers en situation irrégulière (Sudan Tribune 2023). Outre les Sud-Soudanais, Éthiopiens, Érythréens et Tchadiens sont concernés. Les interpellations ont lieu à domicile ou lors de contrôles routiers improvisés, souvent sans possibilité pour les personnes arrêtées de préparer leurs effets ou de prévenir leurs proches.

Plusieurs ONG, dont Amnesty International, dénoncent un « usage disproportionné de la force » et l’absence d’interprètes lors des procédures. Khartoum rappelle pour sa part son « droit souverain » à réguler sa population étrangère en période de conflit.

Défi logistique à la frontière de Joda

Situé à 450 kilomètres au nord de Juba, le poste de Joda concentre l’essentiel des flux de retour. Les bus affrétés par la police soudanaise y déposent quotidiennement des dizaines de familles, souvent sans documents ni argent liquide. Les capacités d’accueil restent modestes : moins de 300 lits, une clinique mobile de Médecins Sans Frontières et une réserve alimentaire pour trois jours.

Le gouverneur de la région Upper Nile appelle la communauté internationale à renforcer l’approvisionnement en eau potable et en vaccins, alors que la saison des pluies favorise déjà la recrudescence du choléra (OMS 2023).

Renk en première ligne humanitaire

À 160 kilomètres du poste-frontière, la ville de Renk sert de hub humanitaire. L’UNICEF assure le rapatriement des mineurs isolés, tandis que l’OIM gère l’enregistrement biométrique des retours. Dans le cas des 71 enfants, un convoi sécurisé a été organisé jusqu’à Juba, escorté par la police sud-soudanaise et le CICR.

La commissaire du comté, Aluel Atem, rappelle que « chaque jour passé loin des parents accroît le risque de traite ou de recrutement armé ». Les autorités plaident pour un corridor humanitaire direct entre Khartoum et Renk afin d’accélérer les futures réunifications.

Enjeux régionaux et diplomatiques

La question migratoire alimente les tensions entre Khartoum et Juba depuis la sécession sud-soudanaise de 2011. Les deux capitales coopéraient déjà difficilement sur le tracé de la frontière et la répartition des revenus pétroliers. L’actuelle campagne d’expulsions ajoute un dossier sensible aux pourparlers parrainés par l’IGAD.

Juba, qui accueille le siège de la Mission de transition des Nations unies, évoque la possibilité d’ouvrir un mécanisme conjoint d’observation des rapatriements, une option que Khartoum n’a pas encore officiellement commentée. Les diplomates estiment qu’un accord minimal pourrait servir de tremplin vers un réchauffement plus large des relations.

Scénarios pour les mois à venir

Les projections de l’OCHA tablent sur 1,5 million de retours sud-soudanais d’ici fin 2024 si le conflit soudanais se prolonge. En l’absence d’un cadre bilatéral clair, les expulsions forcées risquent de devenir la norme, avec leur cortège de séparations familiales.

Un scénario optimiste verrait la mise en place d’un laissez-passer humanitaire et la mobilisation du Fonds fiduciaire d’urgence pour l’Afrique de l’Union européenne. À l’inverse, une détérioration sécuritaire à Khartoum pourrait précipiter des flux chaotiques, mettant à rude épreuve les capacités logistiques déjà fragiles de Renk et de Juba.

Partager l'article
Jean-Baptiste Ngoma est éditorialiste économique. Diplômé en économie appliquée, il suit les grandes tendances du commerce intra-africain, les réformes structurelles, les dynamiques des zones de libre-échange et les flux d’investissements stratégiques. Il décrypte les enjeux macroéconomiques dans une perspective diplomatique et continentale.