Réfugiés congolais : coulisses d’un retour encore incertain

Jean-Baptiste Ngoma
6 mn de lecture

Ce qu’il faut retenir

Le retour des réfugiés congolais figure parmi les sept engagements de la déclaration de principe publiée le 19 juillet par Kinshasa et l’AFC/M23. Les parties promettent un rapatriement volontaire, sûr et digne, mais sans calendrier clair. Kigali, impliqué à Washington, accueille environ 80 000 Congolais, un chiffre contesté par la République démocratique du Congo.

Contexte régional des réfugiés congolais

La question n’est pas nouvelle : dès l’accord de 2009 entre Kinshasa et le CNDP, ancêtre du M23, le rapatriement était un axe prioritaire. Aujourd’hui, la poursuite des hostilités dans l’Est de la RDC, du Nord-Kivu au Sud-Kivu, complique toute perspective de retour massif. Les autorités congolaises exigent un cessez-le-feu effectif et la restauration de l’État avant toute opération.

Chiffres controversés sur l’exil

Selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, le Rwanda héberge près de 137 000 réfugiés, majoritairement originaires de la RDC et du Burundi. Environ 80 000 seraient Congolais. Kinshasa, qui réclame une vérification individuelle, dit ignorer l’identité exacte de ces exilés et suspecte des doublons, voire des inscriptions erronées susceptibles d’alimenter les revendications politiques du M23.

Calendrier et mécanismes de retour

Un comité d’accueil mixte doit être créé pour organiser les convois, déterminer les sites d’installation et assurer l’assistance humanitaire. À ce jour, les négociateurs reconnaissent que l’organe n’est pas encore opérationnel. Le gouvernement congolais martèle qu’aucun déplacement ne pourra intervenir tant que les zones concernées resteront sous influence de groupes armés et qu’aucun audit de nationalité ne sera finalisé.

Acteurs diplomatiques à la manœuvre

Les discussions de Doha, médiatisées par le Qatar, impliquent Kinshasa et l’AFC/M23, tandis que Washington abrite un canal direct entre la RDC et Kigali. L’Union africaine suit le dossier de près, encouragée par le HCR, qui entend garantir la conformité aux standards internationaux de protection. Chacun s’accorde sur le principe d’un retour, mais diverge quant à la séquence opérationnelle.

Enjeux sécuritaires persistants

La présence d’unités M23 dans le Rutshuru et le Masisi reste un motif de préoccupation pour les humanitaires. Tant que les routes stratégiques, notamment la RN2, ne seront pas sécurisées, la logistique de rapatriement demeure périlleuse. Kinshasa lie désormais toute avancée humanitaire à l’obtention d’un cessez-le-feu vérifié sur le terrain par les mécanismes régionaux de la Communauté d’Afrique de l’Est.

Défis sociaux et fonciers

Au-delà de la sécurité, le retour pose la question cruciale de l’accès à la terre. Dans plusieurs chefferies du Nord-Kivu, les propriétés abandonnées ont été réoccupées, parfois vendues. Des conflits fonciers risquent de s’intensifier à mesure que des familles reviendront. Les organisations de la société civile plaident pour un volet compensation et médiation foncière intégré à tout accord final.

Dimension économique et humanitaire

Réinstaller des dizaines de milliers de personnes exige des financements conséquents pour l’eau, la santé, l’école et l’agriculture. Le HCR estime à plusieurs dizaines de millions de dollars le coût d’une première phase. La Banque mondiale et la Banque africaine de développement ont été sollicitées, mais conditionnent leurs décaissements à la pacification durable de la zone.

Scénarios à court terme

Si un cessez-le-feu robuste est obtenu, un retour progressif pourrait débuter par des « convoys pilotes » de familles volontaires. En cas de reprise des combats, le dossier resterait gelé, laissant planer l’incertitude sur la scolarité des enfants et la pression sur les infrastructures rwandaises. Certains experts évoquent même la possibilité d’un statut prolongé de réfugié pour une partie de la population.

Rôle des garants régionaux

La Conférence internationale sur la région des Grands Lacs et la Communauté économique des États d’Afrique centrale cherchent à harmoniser leurs approches. Au-delà des garanties militaires, elles encouragent la mise en place d’un registre biométrique unique pour fiabiliser les données. Le succès de cette coordination influencera la confiance entre Kinshasa, Kigali et les réfugiés eux-mêmes.

Perspectives pour un accord global

La feuille de route Kigali-Kinshasa doit intégrer sécurité, gouvernance locale et développement. Plusieurs observateurs rappellent qu’un retour durable ne peut ignorer l’accès à l’emploi, la cohésion communautaire et la réhabilitation des services publics. Les négociations actuelles cherchent donc à lier le volet militaire à un pacte socio-économique plus large afin d’éviter tout nouveau cycle d’exode.

Conclusion ouverte

En promettant un retour « sûr, volontaire et digne », Kinshasa, l’AFC/M23 et Kigali se donnent une cible ambitieuse mais semée de pré-conditions. Tant que les chiffres restent flous et la sécurité fragile, le chronomètre du rapatriement est suspendu. La diplomatie régionale a désormais la lourde tâche de passer des principes à la réalité, sans rallumer les braises du conflit.

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Jean-Baptiste Ngoma est éditorialiste économique. Diplômé en économie appliquée, il suit les grandes tendances du commerce intra-africain, les réformes structurelles, les dynamiques des zones de libre-échange et les flux d’investissements stratégiques. Il décrypte les enjeux macroéconomiques dans une perspective diplomatique et continentale.