Restitution ratée des bronzes du Bénin : les dessous nigérians

Jean-Baptiste Ngoma
5 mn de lecture

Ce qu’il faut retenir

La restitution des célèbres bronzes du Bénin, pillés en 1897 par l’armée britannique, aurait pu marquer une renaissance patrimoniale pour le Nigeria. Entre l’État fédéral, le gouvernement d’Edo et la cour royale béninoise, l’enjeu s’est transformé en affrontement de légitimités, retardant l’accès du public à ces chefs-d’œuvre.

Chronique d’une quête patrimoniale

En 2007, Abuja ouvre des négociations discrètes avec plusieurs musées européens afin de récupérer près de trois mille pièces d’ivoire, de laiton et de bronze dispersées depuis la période coloniale (The Guardian). Le processus se renforce au début des années 2020, Berlin promettant un rapatriement massif pour solder son passé impérial.

À l’été 2022, un avion militaire allemand atterrit à Abuja avec vingt-et-un bronzes soigneusement conditionnés. La cérémonie officielle, couverte par la presse internationale, cherche à symboliser un tournant décolonial. Mais l’absence remarquée de l’oba du Bénin rappelle qu’à domicile, tout reste à régler.

Le 23 mars 2023, le gouvernement nigérian tranche : le descendant de la dynastie béninoise sera le « gardien légitime » des bronzes. Cette décision clôt un volet juridique, sans éteindre les frustrations régionales, notamment du côté de la gouvernance d’Edo qui revendique l’héritage culturel du site historique de Benin City.

Les acteurs au cœur de l’imbroglio juridique

Trois pôles de pouvoir s’opposent. Le gouvernement fédéral se prévaut du cadre législatif national, garantissant la protection et la circulation d’objets classés. L’État d’Edo, berceau du Royaume du Bénin, argue d’un droit territorial et aspire à valoriser son tourisme culturel.

Enfin, la cour royale, représentée par l’oba Ewuare II, s’appuie sur la dimension sacrée de ses trésors, jadis conservés dans le palais d’origine. Pour l’entourage du monarque, céder les bronzes à un musée d’État reviendrait à une nouvelle spoliation symbolique.

La décision fédérale de confier la garde au souverain est saluée dans certains médias locaux comme un geste de réconciliation historique. D’autres voix craignent une privatisation de biens communs, accentuant le fossé entre la monarchie traditionnelle et la population urbaine avide d’accès culturel (Frankfurter Allgemeine Zeitung).

Les stratégies muséales opposées

À Benin City, le gouverneur Godwin Obaseki porte le projet du Musée d’Art ouest-africain, conçu par l’architecte David Adjaye. L’ambition initiale : accueillir la collection la plus complète au monde de bronzes du Bénin et devenir une vitrine panafricaine de restitution.

Face à ce programme, la cour royale préfigure son propre Musée royal du Bénin, où les pièces seraient contextualisées par la tradition. En attendant leur ouverture, l’installation d’argile de l’artiste Yinka Shonibare remplacera les bronzes dans le musée d’Obaseki, illustrant la distance entre promesse patrimoniale et réalité.

Pressions occidentales et course à la restitution

Depuis que le Forum Humboldt a débarrassé ses vitrines, les musées européens rivalisent pour rendre leurs bronzes au plus vite. Aberdeen a suivi, de même que Cambridge et Oxford, afin d’éviter toute accusation de rétention coloniale. Pour Philip Ihenacho, directeur du musée d’Art ouest-africain, cette dynamique relève « d’une compétition d’image » (The Guardian).

L’enthousiasme occidental contraste avec la lenteur nigériane à établir un régime clair de propriété. Les donateurs internationaux, qui conditionnent parfois leurs aides à la présentation publique des collections, observent la situation avec prudence.

Quels scénarios pour la diplomatie culturelle nigériane ?

Première option : parvenir à un accord de co-gestion entre État fédéral, Edo et la cour royale, assorti d’une rotation des œuvres. Cette formule favoriserait l’accès citoyen et rassurerait les bailleurs étrangers attachés à la gouvernance partagée.

Deuxième piste : maintenir le statu quo et laisser le souverain décider seul des conditions d’exposition. L’enjeu serait alors de convaincre l’opinion publique que la conservation privée garantit la sécurité et la sacralité des pièces.

Troisième scénario : un arbitrage législatif plus large visant à encadrer toutes les nouvelles restitutions promises à l’Afrique. Pour Abuja, ce serait l’occasion de renforcer son image de leader continental de la diplomatie culturelle, à condition de tirer les leçons d’un dossier devenu emblématique des tensions entre patrimoine, politique et identité.

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Jean-Baptiste Ngoma est éditorialiste économique. Diplômé en économie appliquée, il suit les grandes tendances du commerce intra-africain, les réformes structurelles, les dynamiques des zones de libre-échange et les flux d’investissements stratégiques. Il décrypte les enjeux macroéconomiques dans une perspective diplomatique et continentale.