SADC : le message de Mutharika qui interpelle Brazzaville

Jean-Baptiste Ngoma
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Ce qu’il faut retenir

Dans un discours solennel, Arthur Peter Mutharika, président du Malawi et président en exercice de l’Organe politique, défense et sécurité de la SADC, a appelé les États d’Afrique australe à resserrer leurs rangs face aux menaces transfrontalières. Cet appel trouve un écho particulier à Brazzaville, dont la diplomatie recherche des synergies continentales pour consolider la paix et stimuler l’économie.

Les enjeux sécuritaires au cœur du message de Lilongwe

Mutharika a mis en avant la montée des violences extrémistes au nord du Mozambique, la recrudescence de la piraterie dans le canal du Mozambique et l’impact des changements climatiques sur les flux migratoires. Il a plaidé pour une mutualisation des renseignements, l’harmonisation des doctrines de défense et un financement durable des missions de la SADC, rappelant que « la sécurité est le socle de tout développement ».

Quelle place pour Brazzaville dans la mécanique SADC

Non membre de la SADC, le Congo-Brazzaville suit néanmoins de près les évolutions de l’organe. La diplomatie congolaise, portée par le ministre Jean-Claude Gakosso, voit dans l’initiative malawite une opportunité de dialogue triangulaire SADC-CEEAC-CIRGL. Brazzaville partage déjà des renseignements sur la criminalité fluviale et sur les trafics d’armes qui irriguent le corridor angolais, zone interface entre Afrique centrale et australe.

Convergence CEEAC–SADC : vers un corridor de stabilité

Depuis le sommet conjoint de Luanda en 2022, les deux Communautés économiques régionales travaillent à interconnecter leurs centres d’alerte précoce. Le plaidoyer de Mutharika pourrait accélérer l’opérationnalisation de couloirs humanitaires dans les provinces frontalières de la RDC, où les forces congolaises ont déjà mené des actions de médiation. Brazzaville y voit un prolongement logique de sa doctrine de « diplomatie de proximité ».

Diplomatie climatique et résilience économique partagée

En faisant le lien entre sécurité et changement climatique, le chef d’État malawite rejoint les priorités de Denis Sassou Nguesso autour de la préservation du bassin du Congo. La Coordination nationale REDD+ congolaise planche sur des mécanismes de crédits carbone susceptibles d’intéresser le Malawi, fortement touché par les cyclones. Un axe forêt-énergie pourrait soutenir une croissance verte et réduire les sources de conflictualité.

Acteurs

Outre Mutharika, le message sera disséqué par João Laurenco, président angolais et médiateur dans la région des Grands Lacs, mais aussi par le Secrétariat exécutif de la SADC, dirigé par Elias Magosi. Côté congolais, la Cellule diplomatique de la présidence, la Force publique et la Commission CEMAC scrutent les retombées stratégiques d’une éventuelle harmonisation sécuritaire Sud-Centre.

Calendrier

Le prochain Conseil des ministres de la SADC est prévu en août à Gaborone, avant le sommet des chefs d’État d’octobre. Entre-temps, Brazzaville accueillera en juillet une réunion conjointe CEEAC-CIRGL consacrée à la lutte contre la prolifération des armes légères. Les équipes des deux secrétariats utiliseront ces séquences pour tester des protocoles d’échange de données.

Scénarios

Scénario porteur : adoption d’un plan de sécurisation des frontières RDC-Zambie-Angola, assorti d’un volet climatique copiloté par le Congo et le Malawi. Scénario intermédiaire : coordination limitée aux alertes précoces sans financement pérenne. Scénario bas : repli de certains États face aux coûts, relançant des initiatives bilatérales éparses. Les chancelleries congolaises privilégient la première option pour accroître leur visibilité régionale.

Analyse financière et logistique

Le Fonds de paix de l’Union africaine reste la principale manne pour des déploiements conjoints. Cependant, Mutharika insiste sur la création d’un levy régional, tandis que Brazzaville étudie un schéma d’obligations vertes indexées sur la sécurisation des chaînes logistiques forestières. Ces mécanismes hybrides seraient une première sur le continent et pourraient convaincre les bailleurs européens à s’aligner.

Lecture politique à Brazzaville

Au-delà du verbe, le discours de Lilongwe conforte l’idée que la sécurité collective fait gagner du temps diplomatique aux États tournés vers le développement. Pour le président Denis Sassou Nguesso, engager le Congo dans des passerelles SADC sans formaliser une adhésion constitue un équilibre subtil : capitaliser sur l’architecture sécuritaire sud-africaine tout en préservant son leadership en Afrique centrale.

Perspectives

La déclaration de Mutharika fournit une fenêtre stratégique. Si Brazzaville réussit à articuler ses initiatives climatiques et son engagement pour la paix avec le canevas SADC, elle consolidera son image de facilitateur continental. À terme, cette trajectoire pourrait déboucher sur une plateforme intercommunautaire de gestion des crises, alignée sur l’Agenda 2063 et sur les ambitions climatiques des deux bassins forestiers africains.

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Jean-Baptiste Ngoma est éditorialiste économique. Diplômé en économie appliquée, il suit les grandes tendances du commerce intra-africain, les réformes structurelles, les dynamiques des zones de libre-échange et les flux d’investissements stratégiques. Il décrypte les enjeux macroéconomiques dans une perspective diplomatique et continentale.