En 2025, le Sénégal ne se contente plus d’être cité comme exemple de coexistence religieuse pacifique : il en fait un levier diplomatique central. Dans un contexte de retrait américain, de tensions régionales et de recomposition stratégique en Afrique de l’Ouest, Dakar transforme son capital moral en influence concrète. Reconnu par le Vatican, soutenu par l’Europe et courtisé par le Golfe, le pays impose une diplomatie religieuse inédite, entre foi, sécurité et développement.
Une foi en la diplomatie
Le Sénégal a longtemps été salué pour sa tolérance religieuse et la cohabitation harmonieuse entre musulmans, chrétiens et adeptes des religions traditionnelles africaines. Mais en ce premier semestre 2025, cette réputation s’est muée en instrument diplomatique à part entière. Trois événements majeurs en sont à l’origine :
- Un message du Saint-Siège, transmis par l’archevêque Paul Richard Gallagher lors d’un colloque à l’Université Cheikh Anta Diop, érigeant le Sénégal en modèle de « coexistence pacifique ».
- La formalisation d’une communauté intellectuelle régionale et internationale traitant les leaders religieux comme des interlocuteurs diplomatiques légitimes.
- La suspension soudaine de l’aide américaine au développement, transformée en opportunité stratégique pour repositionner le pays.
Le Saint-Siège : une vision théologique de la diplomatie
Dans un discours livré à Dakar, Mgr Gallagher a qualifié le Sénégal de « modèle exemplaire de coexistence religieuse pacifique », insistant sur le rôle central des traditions spirituelles dans la construction d’un ordre international juste. Cette reconnaissance s’inscrit dans une perspective plus large, celle du Jubilé 2025 de l’Église catholique, qui fait de la miséricorde et de l’amitié sociale des vertus diplomatiques.
Le colloque de Dakar : laboratoire d’une diplomatie religieuse active
Les 7 et 8 avril, un colloque international sur la diplomatie religieuse a rassemblé imams, prêtres, rabbins et diplomates de l’Union européenne, de la CEDEAO et de l’OCI. Trois avancées majeures en ont découlé :
- Une redéfinition de la diplomatie comme pratique morale ;
- La mise en œuvre concrète du pluralisme à travers des dispositifs communs (couloirs humanitaires, systèmes d’alerte précoce, comités de médiation) ;
- Des données prouvant l’impact de ces mécanismes sur la baisse des violences locales en Casamance et à Saint-Louis.
Une tradition de pluralisme enracinée
Ce tournant diplomatique repose sur un terreau ancien. La majorité musulmane sénégalaise est structurée autour de confréries soufies prônant tolérance et travail. Les minorités chrétiennes, actives dans l’éducation et la santé, jouissent d’un respect institutionnalisé. Quant aux religions traditionnelles, elles conservent un rôle symbolique et juridique dans la régulation sociale. L’union visible – imams à la messe de minuit, évêques partageant le repas de rupture du jeûne – est un fait social autant qu’un message diplomatique.
Un levier stratégique consolidé par les Églises d’Afrique de l’Ouest
Le 7 mai, la cinquième assemblée plénière de la RECOWA (Conférence des évêques d’Afrique de l’Ouest) a confirmé l’engagement conjoint des évêques et conseils islamiques sur des enjeux comme l’exploitation minière artisanale ou la lutte contre la désinformation numérique. Ce dialogue confessionnel, aligné sur les priorités sénégalaises, confère à la pluralité religieuse une fonction de stabilité stratégique.
Les effets régionaux : entre médiation et sécurité
Selon un rapport confidentiel remis à la Mission hybride ONU-UA au Mali, les prêcheurs djihadistes échouent à mobiliser contre le Sénégal, perçu comme un État non hostile à l’islam. Les médiateurs sénégalais, forts de leur expérience interreligieuse, sont accueillis favorablement dans les crises gambienne, bissau-guinéenne ou centrafricaine.
Le retrait américain : un paradoxe fécond
Le 5 février, l’administration Trump a suspendu plusieurs programmes d’aide au Sénégal, dont un compact énergétique de 500 millions de dollars. Plutôt qu’un effondrement, cela a engendré une diversification. En quelques semaines, Dakar a obtenu des garanties sécuritaires du Pentagone et suscité l’intérêt renouvelé de fonds du Golfe et d’investisseurs européens.
Le Premier ministre Ousmane Sonko a su transformer cette crise en levier souverainiste, en appelant à un développement libéré de la dépendance américaine. Une stratégie qui a payé.
Diplomatie économique et capital moral
Selon l’Agence sénégalaise de promotion des investissements, les projets venus du Conseil de coopération du Golfe ont augmenté de 15 % au premier trimestre 2025. Ces investisseurs évoquent directement le discours du Vatican pour justifier leur choix. L’AFD française combine désormais ses prêts climatiques avec des subventions à des « hubs de dialogue » et à des programmes éducatifs interreligieux. Cette nouvelle “conditionnalité idéelle” séduit.
Le modèle sénégalais s’exporte : exemple du Gabon
Le 5 mai, Libreville a confirmé la reconduction de Régis Onanga Ndiaye, d’origine sénégalaise, au poste de ministre des Affaires étrangères. Deux jours plus tôt, le président sénégalais assistait à l’investiture de Brice Oligui Nguema. Cette nomination traduit une triple stratégie : s’approprier la légitimité démocratique du Sénégal, rassurer les bailleurs et intégrer son réseau de médiation.
Le Gabon envisage désormais de créer un Conseil interreligieux sur le modèle sénégalais. Un pas vers la sortie durable de l’autoritarisme.
L’Europe entre réajustement et prudence
La France, en retrait militaire post-Barkhane, veut désormais miser sur le “capital moral” de Dakar. Un séminaire franco-sénégalais est prévu pour fin 2025, centré sur la diplomatie religieuse. Mais la société civile sénégalaise alerte : toute instrumentalisation creuse du langage religieux pourrait s’avérer contre-productive, comme l’a montré le cas centrafricain.
Une influence continentale croissante
Le 8 mai, le Conseil interreligieux d’Éthiopie a annoncé un sommet panafricain sur la foi et les Objectifs de développement durable, inspiré explicitement du colloque de Dakar. L’Union africaine travaille à une charte de la diplomatie religieuse, avec un Haut Panel sur la foi et la médiation, que Dakar devrait présider.
Leçons pour les diplomates
Trois points clés se dégagent pour les acteurs internationaux :
- Intégrer la lecture religieuse dans les analyses de risque et de partenariat.
- Adapter la conditionnalité de l’aide aux dynamiques morales locales.
- Financer les infrastructures discrètes mais essentielles du pluralisme (éducation, médiation, veille interreligieuse).
Vers une géopolitique spirituelle africaine
Le Sénégal montre en 2025 que la diplomatie religieuse n’est plus un ornement rhétorique, mais un outil stratégique. En convertissant l’autorité morale en levier d’influence, Dakar sécurise ses intérêts, attire des capitaux et propose un modèle stabilisateur à l’Afrique de l’Ouest et au-delà. La diplomatie africaine de demain pourrait bien parler autant en langues spirituelles qu’en termes géopolitiques.