Tanzanie : l’UE et Mo Ibrahim dénoncent la réélection

Jean-Baptiste Ngoma
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Ce qu’il faut retenir

La réélection de la présidente Samia Suluhu Hassan, annoncée à 98 % des suffrages, déclenche en Tanzanie une vague de réactions internationales et régionales. Les critiques se cristallisent autour du déroulement du scrutin, de la gestion des manifestations et d’un bilan humain que l’opposition chiffre à huit cents morts.

Ni l’Union européenne ni la fondation Mo Ibrahim ne félicitent la cheffe de l’État. Le premier partenaire budgétaire de Dar es Salaam et l’un des gardiens du principe de bonne gouvernance africain dénoncent des dérives autoritaires, l’arrestation d’opposants et la coupure d’Internet pendant le vote.

Contexte régional

La Tanzanie, souvent citée pour sa stabilité, est entrée depuis plusieurs cycles électoraux dans une zone de turbulences institutionnelles. Le recul de l’espace civique, l’encadrement strict des partis et la concentration des pouvoirs autour du parti Chama Cha Mapinduzi nourrissent des interrogations sur la trajectoire démocratique.

Le scrutin présidentiel le plus récent devait, selon les observateurs nationaux, confirmer les réformes engagées depuis l’arrivée au pouvoir de Samia Suluhu Hassan. Il a, au contraire, rouvert les plaies de 2020, marquées par la contestation et par l’emprisonnement d’adversaires politiques clés.

Calendrier d’une crise électorale

Dimanche 2 novembre, l’Union européenne publie un communiqué inhabituellement ferme. Bruxelles estime « extrêmement préoccupantes » les informations « fiables » faisant état de nombreux morts et blessés graves. Elle évoque des rapts, des violences à huis clos et des irrégularités, sans toutefois remettre frontalement en cause la légitimité constitutionnelle de la présidente.

Dans la foulée, Dar es Salaam rejette toute ingérence et condamne les manifestations « illégales ». L’opposition maintient que huit cents civils ont péri sous les balles des forces de sécurité. Aucune vérification indépendante n’est encore possible en raison du blocage d’Internet et du refus d’accès imposé aux médias étrangers.

Voix de l’Union européenne

La cheffe de la diplomatie européenne, Kaja Kallas, exige la libération « immédiate » des responsables politiques détenus et un accès « sans restriction » à l’information. Pour les chancelleries, le message est clair : l’Union ne cautionnera pas un troisième cycle de violence, dans une région déjà fragilisée.

L’UE, premier bailleur du programme de lutte contre la pauvreté en Tanzanie, dispose de leviers financiers. La suspension d’appuis budgétaires reste théoriquement sur la table, même si Bruxelles privilégie encore un dialogue « constructif ». Au-delà, un isolement international inquiéterait les milieux économiques de Dar es Salaam.

Fondation Mo Ibrahim en première ligne

La fondation Mo Ibrahim publie de son côté une lettre ouverte au titre sans détour : « Madame la Présidente, ceci est inacceptable ». Les rédacteurs y rappellent que « toute élection qui exclut l’opposition n’est ni juste ni légitime » et que « la colère dans la rue est prévisible ».

Créée pour promouvoir les standards de gouvernance sur le continent, la fondation alerte également sur l’effet domino. La sous-région est déjà en proie à de nombreux conflits ; un nouveau point chaud pénaliserait les efforts diplomatiques visant à contenir les crises.

Acteurs et dynamiques internes

À l’intérieur, Samia Suluhu Hassan conserve les leviers de l’appareil sécuritaire et l’appui du CCM. Les gouverneurs et hauts gradés relayent la ligne officielle : l’ordre public prime. Pourtant, les organisations confessionnelles expriment leur malaise, rappelant que la cohésion sociale reste le pilier de la « nation d’Ujamaa ».

L’opposition, affaiblie par les arrestations, compte sur l’écho international pour forcer une enquête indépendante. Elle soutient que la mobilisation populaire est spontanée et non manipulée. Faute de siège parlementaire représentatif, ses leaders misent sur la rue et sur les réseaux de la diaspora pour maintenir la pression.

Scénarios de sortie de crise

Plusieurs issues s’esquissent. La première miserait sur un dialogue inter-tanzanien facilité par l’Union africaine, permettant la libération des détenus et un audit du scrutin. La seconde passerait par un statu quo, au risque d’alimenter la radicalisation. Une troisième, coercitive, impliquerait des sanctions ciblées.

Dans chaque configuration, le rôle des partenaires économiques pèsera. Quant à l’Union européenne, elle devra équilibrer exigences de droits humains et impératif de stabilité régionale. Les prochains jours diront si la Tanzanie choisit l’apaisement ou la confrontation durable.

Impact régional

Les communiqués convergent sur un diagnostic : la sous-région, déjà éprouvée par de nombreux conflits, ne peut se permettre une flambée supplémentaire. Tout embrasement tanzanien détournerait les capacités de médiation et d’assistance humanitaire, accentuant la fatigue des bailleurs qui soutiennent cette partie du continent depuis des décennies.

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Jean-Baptiste Ngoma est éditorialiste économique. Diplômé en économie appliquée, il suit les grandes tendances du commerce intra-africain, les réformes structurelles, les dynamiques des zones de libre-échange et les flux d’investissements stratégiques. Il décrypte les enjeux macroéconomiques dans une perspective diplomatique et continentale.