Tshisekedi-Kagame : la bataille silencieuse pour l’Est riche

Jean-Baptiste Ngoma
6 mn de lecture

Ce qu’il faut retenir

En accusant Paul Kagame de nourrir des ambitions territoriales sur l’Est de la RDC, Félix Tshisekedi relance le débat sur les causes profondes du conflit avec le M23. Malgré trois cadres d’accord – Luanda, Washington, Doha – le cessez-le-feu demeure fragile, tandis que Kinshasa appelle à des sanctions internationales contre Kigali.

Crise persistante dans l’Est congolais

La partie orientale de la RDC concentre depuis des décennies la plupart des foyers de violence armée. Les autorités de Kinshasa affirment que la résurgence du M23, actif dans le Nord-Kivu, bénéficie d’un soutien logistique rwandais, allégation que Kigali réfute avec constance.

Félix Tshisekedi soutient que l’objectif ultime du voisin rwandais est la « scission » du pays pour annexer une région généreuse en coltan, cassitérite et terres agricoles. En brandissant la carte des ressources, le chef de l’État cherche à internationaliser la question sécuritaire en l’adossant à la régulation des chaînes d’approvisionnement mondiales.

Enjeux miniers et rivalités régionales

Les statistiques publiées par le ministère congolais des Mines estiment que 60 % des réserves mondiales de cobalt se trouvent dans la zone litigieuse. Cette abondance nourrit la concurrence commerciale et alimente l’intérêt des puissances régionales, mais aussi d’acteurs globaux désireux de sécuriser l’approvisionnement en minerais critiques pour la transition énergétique.

Dans ce contexte, l’accusation portée contre Kigali revêt une dimension géo-économique autant que sécuritaire. La RDC redoute qu’un statu quo militaire donne au Rwanda un levier décisif dans la fixation des prix et la négociation des contrats de joint-venture opérés par des multinationales déjà présentes sur les filons.

Luanda, Washington, Doha : diplomatie en spirale

L’accord de Luanda, négocié sous l’égide de l’Angola, devait poser fin aux hostilités fin 2024. Le rendez-vous avait cependant été marqué par l’absence de Paul Kagame, interprétée à Kinshasa comme un signal de désengagement. Cet épisode a ouvert une séquence où les canaux bilatéraux et multilatéraux se superposent sans résultat tangible.

Fin juin, un protocole conclu à Washington a ravivé l’espoir d’un cessez-le-feu, rapidement traduit en « déclaration de principe » signée à Doha en juillet. Or, sur les collines du Rutshuru, les forces congolaises et le M23 continuent de s’accuser de violations, tandis que la relance du dialogue de Doha est annoncée pour la semaine prochaine.

Le rôle attendu de la communauté africaine

Kinshasa mise sur l’effet de levier des organisations régionales pour obtenir des sanctions ciblées contre Kigali. L’Union africaine, la CIRGL et la SADC sont sollicitées afin de peser sur le Rwanda et de garantir le retrait du M23 des positions occupées. Jusqu’ici, les médiations se heurtent aux intérêts stratégiques divergents des États membres.

La posture du président Tshisekedi s’inscrit dans une logique de coalition, à l’image de son plaidoyer devant le Conseil de sécurité des Nations unies. Le chef de l’État entend transformer la question sécuritaire en test de la solidarité africaine, tout en ménageant ses partenaires occidentaux attentifs à la stabilité du corridor logistique atlantique-grands lacs.

Scénarios d’évolution à court terme

Si les pourparlers de Doha reprennent, deux issues se dessinent : un cessez-le-feu consolidé par un mécanisme de vérification conjoint, ou une reprise graduelle des combats autour de Goma. La première option suppose l’implication continue des États-Unis et de l’Angola, la seconde accroîtrait la pression humanitaire sur plus d’un million de déplacés.

Félix Tshisekedi répète qu’il « ne s’avouera pas vaincu », expression qui laisse entendre une préparation militaire en parallèle de la négociation. Kigali, de son côté, campe sur la défense de ses frontières et sur la nécessité de neutraliser les FDLR. Dans cette partie d’échecs, une fenêtre d’opportunité diplomatique demeure, mais se referme vite.

Les agences humanitaires anticipent déjà une aggravation de la crise alimentaire si la route nationale deux, axe vital entre Goma et Butembo, venait à être coupée. La saison des pluies compliquerait l’acheminement des vivres, renforçant la dépendance aux convois onusiens. Dans ce tableau, chaque regain de tension se traduit en semaines de rationnement pour les civils.

Calendrier diplomatique à surveiller

Selon la présidence congolaise, la rencontre bilatérale avec Paul Kagame pourrait se tenir à Washington dans les dix jours suivant la reprise des pourparlers de Doha. Le calendrier envisagé s’appuie sur l’agenda du président américain Donald Trump, garant supposé de la mise en œuvre des deux accords. Ce rendez-vous doit offrir un cadre visuel propice à une annonce conjointe.

En cas d’échec, Kinshasa prévient qu’elle mobilisera un sommet extraordinaire de la CIRGL pour examiner des mesures de rétorsion économiques. Cette perspective illustre la nouvelle posture proactive de la diplomatie congolaise, qui cherche à conjuguer pression politique et isolement symbolique du Rwanda, tout en évitant une escalade militaire incontrôlable aux portes du parc des Virunga.

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Jean-Baptiste Ngoma est éditorialiste économique. Diplômé en économie appliquée, il suit les grandes tendances du commerce intra-africain, les réformes structurelles, les dynamiques des zones de libre-échange et les flux d’investissements stratégiques. Il décrypte les enjeux macroéconomiques dans une perspective diplomatique et continentale.