Ce qu’il faut retenir
L’Unesco prépare le départ d’Audrey Azoulay après huit ans de réformes qui ont doublé le budget annuel de l’agence et accru la place du patrimoine africain. Deux Africains, l’Égyptien Khaled El-Enany et le Congolais Firmin Matoko, incarnent une bataille d’idées sur la gouvernance, l’ouverture aux ONG et la diplomatie culturelle.
Au-delà du scrutin, la candidature venue de Brazzaville illustre la stratégie d’influence douce du Congo, qui privilégie l’expérience institutionnelle de Matoko pour consolider l’image d’un pays contributeur à la coopération multilatérale.
Contexte : l’héritage Azoulay
Audrey Azoulay avait promis en 2017 de “moderniser une maison fragilisée”. Ses chantiers, salués pour leur efficacité, ont fait passer le budget de 450 à 900 millions de dollars par an (UNESCO, 2023). Dix-neuf sites africains ont rejoint la Liste du patrimoine mondial, nettement plus qu’au cours du mandat précédent.
Cette politique d’expansion a replacé l’Afrique au cœur des priorités de l’agence, notamment avec le programme “Revive the Spirit of Mosul” qui mêle reconstruction et participation locale. L’initiative reste pourtant jugée insuffisamment ancrée sur le terrain par certains universitaires.
Budget et gouvernance en question
Dans les couloirs du siège parisien, diplomates et chercheurs louent la vigueur budgétaire retrouvée, mais regrettent un pilotage perçu comme trop vertical. Le qualificatif “jupitérien” revient régulièrement pour décrire une direction qui tranche vite, parfois sans consultation élargie des ONG ni écoute prolongée des délégations (Le Monde, 2024).
Selon l’anthropologue Lynn Meskell, l’organisation est devenue “otage de ses États membres”, évitant les dossiers sensibles pour se concentrer sur des projets techniques. L’impasse sur la crise à Gaza illustre cette prudence, notent plusieurs observateurs.
Acteurs : deux visions africaines
La course qui s’ouvre confirme l’émergence d’un leadership africain pluraliste. Khaled El-Enany, 54 ans, archéologue reconnu et ancien ministre égyptien de la Culture, bénéficie du soutien de l’Union africaine, de la Ligue arabe et de puissances européennes, dont la France et l’Allemagne.
Firmin Matoko, 69 ans, occupe depuis trois décennies des postes clés au sein de l’Unesco. Son réseau interne, construit depuis Brazzaville jusqu’aux capitales régionales, nourrit une campagne fondée sur la continuité et la réforme graduelle.
Le profil de Khaled El-Enany
Pour ses promoteurs, l’Égyptien incarne l’expertise académique appliquée à l’action culturelle. Lynn Meskell salue “un égyptologue de renom capable de réconcilier science, éducation et conservation”. Un diplomate espagnol rejoint cet avis, estimant qu’il saura maintenir la rigueur financière inaugurée sous Azoulay.
El-Enany insiste sur une “maison de tous les peuples” et sur la concertation avec la société civile. Son message séduit une partie du Nord, qui voit en lui un pont entre capital politique africain et influence méditerranéenne.
L’atout expérience de Firmin Matoko
Le candidat congolais revendique une connaissance intime des rouages internes, acquise au contact des programmes d’éducation et de jeunesse. Oumar Keïta, ancien ambassadeur du Mali, souligne qu’“avoir couvert plusieurs régions donne une longueur d’avance”.
Matoko promet de “réformer sans déstabiliser”, en privilégiant le développement humain, l’accès des femmes aux sciences et la formation des jeunes. Son approche graduelle rassure des États du Sud qui redoutent une rupture organisationnelle.
Calendrier d’une succession sensible
La procédure formelle s’étend sur deux ans, du dépôt des candidatures jusqu’au vote de la Conférence générale. Entre-temps, chaque prétendant sillonne les capitales pour recueillir les 30 voix décisives du Conseil exécutif, passage obligé avant le scrutin final.
La perspective d’un retrait américain annoncé pour 2026 renforce l’enjeu. Le futur directeur général devra absorber la perte probable de 8 % des ressources de fonctionnement, tout en préservant le positionnement de l’agence sur éducation, culture, sciences et liberté académique.
Scénarios pour l’Afrique et le Congo-Brazzaville
Si El-Enany l’emporte, Le Caire consolidera son poids dans la diplomatie culturelle, avec un accent mis sur les partenariats euro-méditerranéens. Une victoire de Matoko ouvrirait un mandat où l’Afrique centrale, et le Congo-Brazzaville en particulier, pourraient déployer un soft power renouvelé.
Brazzaville mise sur la trajectoire d’un haut fonctionnaire reconnu pour démontrer la capacité congolaise à assumer des responsabilités globales et à promouvoir un multilatéralisme inclusif. Quoi qu’il advienne, l’élection réaffirme que l’avenir de l’Unesco se jouera aussi sur le continent africain.

