Visa USA : le détour par Lomé qui indigne Ouagadougou

Jean-Baptiste Ngoma
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Ce qu’il faut retenir

La diplomatie américaine impose aux ressortissants burkinabè de déposer leurs demandes de visas à l’ambassade des États-Unis au Togo. Ouagadougou y voit une sanction après avoir rejeté l’idée d’accueillir sur son sol des personnes expulsées des États-Unis, pratique déjà acceptée par l’Eswatini, le Ghana, le Rwanda et le Soudan du Sud (source).

Contexte diplomatique tendu

Depuis plusieurs mois, Washington explore des partenariats de réadmission de migrants avec des États africains, offrant une assistance financière ou logistique en échange. L’administration américaine revendique un outil de gestion migratoire ; nombre de capitales y décèlent un dispositif externalisé de détention sans garantie de droits (source).

Ouagadougou a décliné la proposition à plusieurs reprises. Le ministre des Affaires étrangères, Karamoko Jean-Marie Traoré, a rappelé à la télévision nationale que « le Burkina Faso est une terre de dignité et non de déportation », défense implicite de la vision souverainiste portée par le capitaine Ibrahim Traoré (source).

Calendrier et portée de la mesure

L’ambassade américaine à Ouagadougou a suspendu, pour une durée présentée comme « temporaire », la délivrance des visas touristiques et étudiants aux ressortissants burkinabè. Les postulants doivent désormais se rendre à Lomé, avec les surcoûts organisationnels et sécuritaires que ce détour implique (source).

Aucune date de révision n’a été communiquée, laissant planer l’incertitude. La mesure intervient alors que la transition burkinabè cherche à renforcer les partenariats non occidentaux, notamment avec la Russie, la Turquie et certains pays du Golfe, dans un contexte de retrait progressif des forces françaises du théâtre sahélien.

Acteurs et motivations

Côté américain, la stratégie s’inscrit dans la doctrine migratoire de l’exécutif républicain, attaché à réduire les arrivées irrégulières par des accords bilatéraux de réadmission. « L’expulsion vers des pays tiers est un pilier de notre approche », confiait récemment un haut responsable du Département de la Sécurité intérieure, cité par la presse américaine (source).

Pour le gouvernement burkinabè, accepter un tel accord reviendrait à entamer son capital politique interne, fondé sur l’affirmation de la souveraineté et la dénonciation des injustices historiques. Les organisations de défense des droits humains, elles, redoutent des violations potentielles et soulignent l’errance à laquelle sont condamnés certains expulsés, déjà renvoyés du Ghana vers le Togo après un premier transfert (source).

Scénarios possibles à court terme

Un premier scénario verrait Ouagadougou maintenir son refus tout en sollicitant une médiation régionale, possiblement via la CEDEAO, afin d’obtenir la levée partielle de la mesure américaine. Cette option préserve la posture de dignité tout en ouvrant un canal technique de discussion.

Un second scénario consisterait à négocier des contreparties financières ou sécuritaires similaires à celles acceptées par l’Eswatini, qui a reçu 5,1 millions de dollars pour améliorer la gestion de ses frontières. Toutefois, une telle concession pourrait être mal perçue par l’opinion publique burkinabè, très attachée à la symbolique du refus initial.

Enfin, le statu quo prolongé pourrait inciter les étudiants et entrepreneurs burkinabè à réorienter leur mobilité vers d’autres partenaires, renforçant ainsi le repositionnement géopolitique déjà amorcé par le pays. Dans ce cas, la mesure américaine, loin de constituer un moyen de pression, accélérerait la diversification diplomatique de Ouagadougou.

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Jean-Baptiste Ngoma est éditorialiste économique. Diplômé en économie appliquée, il suit les grandes tendances du commerce intra-africain, les réformes structurelles, les dynamiques des zones de libre-échange et les flux d’investissements stratégiques. Il décrypte les enjeux macroéconomiques dans une perspective diplomatique et continentale.