Washington tente une nouvelle médiation au Soudan en crise

Jean-Baptiste Ngoma
6 mn de lecture

Ce qu’il faut retenir

Dix jours après la chute d’El-Fasher aux mains des Forces de soutien rapide, Washington reprend langue avec les belligérants soudanais. L’émissaire Massad Boulos souhaite imposer un cessez-le-feu humanitaire avant de lancer un processus politique plus ambitieux. Les précédents rounds n’ayant jamais tenu, les analystes, à l’instar de Thierry Vircoulon, restent circonspects quant au succès de cette nouvelle tentative.

Washington relance sa médiation

Le Département d’État a mandaté son conseiller principal pour les affaires arabes et africaines afin de renouer, depuis la capitale américaine, un canal diplomatique direct avec l’état-major soudanais et les chefs paramilitaires. Selon des responsables cités par Reuters, l’objectif immédiat est de sécuriser des couloirs humanitaires, en s’appuyant sur la bonne volonté affichée par certains commandants locaux.

El-Fasher, tournant militaire et politique

La prise éclair d’El-Fasher, dernier verrou stratégique au Darfour-Nord, a modifié les équilibres. Les Forces de soutien rapide contrôlent désormais un arc territorial reliant Nyala à la frontière tchadienne. Pour l’armée régulière, affaiblie, l’enjeu de la négociation consiste à obtenir un répit afin de réorganiser ses unités dispersées. Pour Washington, ce nouveau rapport de forces impose d’inclure la FSR à la table des discussions sans la légitimer politiquement.

Les paramètres d’une trêve humanitaire

Sur le terrain, les bureaux de l’ONU estiment que près de trois millions de civils restent piégés par les combats. Une pause de vingt-quatre à soixante-douze heures permettrait l’acheminement de vivres et de médicaments depuis Port-Soudan. La proposition américaine s’inspire des « pauses humanitaires localisées » testées à Khartoum en mai, sans jamais franchir le cap national.

Massad Boulos, un envoyé atypique

Ancien homme d’affaires libano-américain reconverti dans la diplomatie économique, Boulos mise sur des arguments financiers pour convaincre les chefs militaires soudanais. Selon le Wall Street Journal, il aurait évoqué une levée progressive des sanctions ciblées si une première trêve est respectée. Cette approche transactionnelle tranche avec les initiatives onusiennes antérieures, centrées sur la seule logique de protection des civils.

Réticences des factions armées

Côté armée, le général Abdel Fattah al-Burhan souhaite éviter toute mesure pouvant être perçue comme un aveu de faiblesse. Dans le camp de la FSR, Mohamed Hamdan Daglo, dit « Hemedti », conditionne toute pause à la garantie que l’aviation ne sera plus utilisée contre ses positions. Faute de mécanisme de vérification robuste, les garanties américaines restent pour l’instant déclaratives.

Un multilatéralisme discret mais présent

Washington conserve un contact étroit avec l’Autorité intergouvernementale pour le développement, qui prépare une réunion extraordinaire à Addis-Abeba. L’Union africaine, en retrait depuis l’échec des pourparlers de Nairobi, pourrait se contenter d’avaliser un cessez-le-feu conclu ailleurs. Les acteurs humanitaires, comme Médecins sans frontières, plaident pour une surveillance régionale associant le Tchad et le Soudan du Sud afin d’éviter la reprise des hostilités.

Le regard des chercheurs africains

Thierry Vircoulon, de l’Institut français des relations internationales, rappelle que « plus d’une dizaine d’accords ont déjà été signés puis violés en quelques heures ». À ses yeux, l’absence d’incitations positives fortes et de mécanismes de sanction crédibles condamne la nouvelle initiative à l’échec. D’autres experts, basés à l’Université de Khartoum, estiment cependant qu’un arrêt des combats, même bref, pourrait ouvrir une brèche diplomatique inespérée.

Scénarios possibles pour Khartoum

Trois trajectoires dominent les discussions dans les chancelleries. La première voit l’armée reprendre progressivement le contrôle après un cessez-le-feu partiel. La seconde entérine une partition de facto, avec un Darfour sous influence FSR. La troisième, la plus redoutée, conduit à un enlisement et à l’extension de la guerre vers le Nil Bleu. La fenêtre américaine vise à éviter ce troisième scénario.

Calendrier d’une diplomatie sous pression

Le Département d’État espère obtenir une déclaration conjointe avant la fin du mois pour coïncider avec la prochaine session du Conseil de sécurité des Nations unies. Si aucun texte n’est signé, Washington pourrait renforcer son régime de sanctions ciblées, notamment sur le commerce de l’or contrôlé par la FSR. Cette menace reste théorique tant que la Russie et les Émirats arabes unis maintiennent leurs propres canaux économiques avec Khartoum.

Contexte régional et implications africaines

La stabilisation du Soudan est cruciale pour la Corne de l’Afrique et le Sahel, déjà sous tension. Les flux de réfugiés vers le Tchad frôlent le million, exerçant une pression sur la CEMAC et la BAD pour financer l’aide d’urgence. Dans ce paysage, la diplomatie africaine, plus silencieuse que celle de Washington, tente de sauvegarder l’idée d’une solution endogène portée par l’IGAD et l’Union africaine.

Perspectives et marges de manœuvre

Les chances de succès de la médiation américaine restent minces, mais la catastrophe humanitaire force toutes les parties à considérer une accalmie, ne serait-ce que tactique. À court terme, la tenue ou non du cessez-le-feu servira de baromètre. À moyen terme, la viabilité d’un processus politique dépendra de la capacité des acteurs régionaux à reprendre la main et à articuler un cadre inclusif.

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Jean-Baptiste Ngoma est éditorialiste économique. Diplômé en économie appliquée, il suit les grandes tendances du commerce intra-africain, les réformes structurelles, les dynamiques des zones de libre-échange et les flux d’investissements stratégiques. Il décrypte les enjeux macroéconomiques dans une perspective diplomatique et continentale.