Western Sahara : l’offre d’autonomie marocain prend l’ascendant

Jean-Baptiste Ngoma
7 mn de lecture

Ce qu’il faut retenir

Après un demi-siècle d’impasse, le Front Polisario accepte d’examiner l’idée d’une « association libre » avec le Maroc, à condition qu’un référendum l’entérine. Washington pousse un accord rapide, Paris et Londres suivent, tandis que Moscou nuance son soutien traditionnel à Alger. Le Conseil de sécurité devient l’arbitre d’une séquence diplomatique dense.

Le pas franchi par le mouvement sahraoui, annoncé à l’AFP, confère au plan d’autonomie marocain une légitimité renouvelée. Si les discussions aboutissent, Rabat consoliderait son contrôle sur la majeure partie du territoire, tout en octroyant des compétences locales élargies aux institutions sahraouies.

Nouvel élan diplomatique au Conseil de sécurité

Le 30 octobre, les quinze membres du Conseil doivent se prononcer sur le renouvellement du mandat de la Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (Minurso). Pour la première fois, la possibilité d’un compromis basé sur l’autonomie figure explicitement dans les projets de résolution circulant à New York, selon une source onusienne proche du dossier.

Les tractations s’intensifient dans les couloirs de l’ONU. Rabat multiplie les consultations bilatérales pour verrouiller une majorité solide. Le Polisario, lui, cherche à s’assurer qu’un éventuel accord inclura la tenue d’un scrutin d’autodétermination, condition posée par son chef de la diplomatie jeudi 23 octobre.

Virage du Polisario vers une autonomie négociée

Face à la persistance du statu quo, le Front Polisario semble reconfigurer sa stratégie. « Un pacte d’association libre pourrait ressembler à la proposition du Maroc », a reconnu son ministre des Affaires étrangères (AFP). Cette formule rompt avec la ligne historique exigeant l’indépendance pleine et entière.

La direction du mouvement assure toutefois que la consultation populaire demeure intangible. Toute concession devra être validée par les Sahraouis, y compris les réfugiés installés dans les camps de Tindouf, en Algérie. Cette position vise à préserver la légitimité interne du leadership sahraoui, fragilisé par les contraintes humanitaires prolongées.

Le rôle des États-Unis et de la diplomatie Trump

L’accélération actuelle porte la marque de Washington. Dans l’émission « 60 Minutes », l’envoyé spécial Steve Witkoff a affirmé que « la paix est devenue contagieuse » et prédit un accord sous 60 jours. L’administration américaine soutient l’option marocaine depuis le premier mandat de Donald Trump et mobilise ses canaux pour concrétiser ce succès diplomatique.

La Maison-Blanche voit dans un règlement rapide un levier supplémentaire de sa doctrine « deal-maker » au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, après les accords de normalisation avec Israël. Rabat, partenaire stratégique, tire parti de cette dynamique pour élargir son cercle d’alliés au sein du Conseil.

Paris, Londres et Moscou repositionnent leur boussole

Longtemps prudente, la France a fini par s’aligner sur Washington, arguant qu’une autonomie élargie représente « le compromis réaliste » attendu depuis 1991. Le Royaume-Uni, initialement attentiste, a également apporté un soutien verbal au plan marocain, consolidant ainsi la majorité au Conseil.

La Russie, alliée traditionnelle de l’Algérie, maintenait jusqu’ici une approche calquée sur les résolutions onusiennes. Mais son rapprochement graduel avec Rabat, fondé sur l’énergie et la coopération sécuritaire, conduit désormais Moscou à ménager ses positions. Une éventuelle abstention russe ouvrirait la voie à un vote favorable à l’autonomie.

Implications pour Alger et l’équilibre maghrébin

Alger, soutien constant du Polisario, n’a pas encore réagi publiquement. Un compromis avalisé par le mouvement sahraoui pourrait placer la diplomatie algérienne face à un dilemme : poursuivre le soutien militaire et politique, ou s’inscrire dans une logique de désescalade régionale. L’option d’une abstention algérienne au Conseil est évoquée par certains observateurs.

La recomposition en cours redessine les équilibres au Maghreb. Le Maroc gagnerait un surcroît de légitimité internationale, renforçant ses ambitions de hub africain entre Atlantique et Méditerranée. À l’inverse, Alger pourrait se retrouver isolé si elle campait sur une ligne maximaliste, alors que la Russie, son principal allié, explore des ajustements tactiques.

Contexte historique

Ancienne colonie espagnole, le Sahara occidental est contrôlé à 80 % par le Maroc depuis 1975. Le cessez-le-feu signé en 1991 sous l’égide de l’ONU prévoyait un référendum d’autodétermination qui n’a jamais eu lieu, faute d’accord sur le corps électoral. Entre-temps, le royaume a investi massivement dans les infrastructures des provinces du Sud.

Le plan d’autonomie marocain, présenté en 2007, propose un exécutif et un Parlement régionaux disposant de larges compétences, tandis que le drapeau et la monnaie resteraient marocains. Le Polisario a longtemps écarté cette option, jugeant qu’elle enterrera la perspective d’indépendance. Le changement de ton constaté cette semaine bouleverse donc le cadre de référence.

Calendrier des prochaines étapes

Le 30 octobre : examen du rapport du secrétaire général de l’ONU et vote sur le mandat de la Minurso. Sous 60 jours : objectif affiché par Washington pour un accord de principe. Début 2025 : les diplomates évoquent, à voix basse, la tenue potentielle du référendum exigé par le Polisario, si la résolution l’inclut explicitement.

Scénarios de sortie de crise

Premier scénario : adoption d’une résolution actant l’autonomie et balisant un référendum consultatif. Rabat consoliderait ainsi son contrôle, le Polisario obtiendrait une légitimité démocratique. Deuxième scénario : blocage russe ou algérien, renvoyant les parties à un statu quo prolongé. Troisième scénario : relance d’un processus de négociations directes sous médiation onusienne, sans échéancier.

Acteurs clés

Le roi Mohammed VI supervise personnellement le dossier côté marocain. Brahim Ghali, secrétaire général du Polisario, délègue les discussions à son chef de la diplomatie. Steve Witkoff incarne la voix de Washington. À New York, l’ambassadeur français Nicolas de Rivière et son homologue britannique Barbara Woodward coordonnent le camp favorable à l’autonomie, tandis que le russe Vassily Nebenzia reste évasif.

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Jean-Baptiste Ngoma est éditorialiste économique. Diplômé en économie appliquée, il suit les grandes tendances du commerce intra-africain, les réformes structurelles, les dynamiques des zones de libre-échange et les flux d’investissements stratégiques. Il décrypte les enjeux macroéconomiques dans une perspective diplomatique et continentale.