Un accord inattendu sous l’œil de Washington
C’est une poignée de main que personne n’attendait. Le 27 juin à Washington, les ministres des Affaires étrangères de la République démocratique du Congo et du Rwanda ont signé un accord de paix sous la médiation des États-Unis. Un geste diplomatique salué comme « historique » par le président Donald Trump, qui s’est publiquement félicité du rôle joué par ses équipes. Le président congolais Félix Tshisekedi y voit une « nouvelle ère de stabilité, de coopération et de prospérité ». Mais cette déclaration optimiste masque mal les lignes de fracture encore vives entre les deux pays.
Un contexte régional ravagé par la guerre
L’est de la RDC reste une des régions les plus instables au monde, en proie depuis plus de 30 ans à des groupes armés, milices communautaires et interventions étrangères. Le récent retour en force du groupe rebelle M23, soutenu selon l’ONU par Kigali, a accentué les tensions. En quelques semaines, Goma, Bukavu et plusieurs aéroports ont été pris. Des milliers de civils ont péri, et des centaines de milliers d’autres ont fui. Malgré les dénégations du Rwanda, la communauté internationale pointe sa responsabilité.
L’accord signé vendredi s’inscrit dans ce paysage de violences endémiques, où plusieurs trêves ont échoué ces dernières années. Il entend mettre fin aux hostilités, garantir le respect des frontières et favoriser la démilitarisation de la zone. Il renvoie à un “Concept of Operations” signé en octobre 2024, qui prévoit notamment le retrait progressif des troupes rwandaises et la neutralisation des FDLR, considérées par Kigali comme une menace.
Silences diplomatiques et calculs géopolitiques
Mais à bien y regarder, le texte évacue soigneusement les questions les plus sensibles. Le M23, dont les agissements ont relancé le conflit, n’y est mentionné qu’à travers la médiation parallèle en cours à Doha. Le Rwanda, lui, voit ainsi sa responsabilité diluée, voire dédouanée, dans un conflit pourtant marqué par ses incursions répétées en territoire congolais. Pour de nombreux analystes, c’est là l’une des grandes faiblesses de l’accord : « Peut-on construire la paix sur un déni de réalité ? », s’interroge un diplomate africain.
De fait, certains observateurs jugent que Kigali a mieux négocié. Paul Kagame, habile, a réussi à faire passer sa politique sécuritaire dans l’est congolais comme relevant d’une “légitime défense”. En retour, Kinshasa a dû concéder un engagement flou autour de la transparence dans l’exploitation minière, dans le cadre d’un futur “cadre d’intégration économique régional”. Un accord commercial déguisé ? C’est l’avis de l’ancien président Joseph Kabila, qui parle de “marchandage sécuritaire” impliquant les minerais stratégiques de la RDC.
Une paix imposée de l’extérieur ?
Le rôle des États-Unis dans cette médiation surprend. Longtemps accusée de négliger l’Afrique, l’administration Trump semble motivée par des considérations géoéconomiques : sécuriser les chaînes d’approvisionnement en minerais critiques, notamment pour l’électronique et les batteries. Washington entend aussi freiner l’influence croissante de la Chine dans la région. Dans ce contexte, l’accord du 27 juin peut être lu comme un outil de projection stratégique plus que comme un acte de solidarité diplomatique.
Réactions contrastées sur le terrain
À Goma, dans les zones tenues par le M23, l’accord est accueilli avec méfiance. Les habitants redoutent un nouvel accord signé sans eux, qui ne changera rien à leur quotidien. Corneille Nangaa, coordonnateur de l’Alliance Fleuve Congo (AFC), coalition à laquelle appartient le M23, a dénoncé un texte “limité” et accusé Kinshasa de torpiller la médiation de Doha. Sur le plan national, des voix s’élèvent pour dénoncer un manque de souveraineté. L’Afrique, une fois de plus, n’a pas su parler d’une seule voix, et les médiations africaines ont été contournées.
Une paix fragile, un test pour l’Afrique
L’accord entre la RDC et le Rwanda, bien que diplomatiquement spectaculaire, n’est que le début d’un long processus. Il devra surmonter de nombreux obstacles : la méfiance des populations, les ambitions des groupes armés, la complexité des enjeux miniers, et les rivalités internationales. Si la stabilité dans les Grands Lacs reste un objectif louable, elle ne pourra se construire sans une implication sincère des acteurs africains et une véritable volonté politique des parties.
L’accord de Washington est peut-être une prouesse diplomatique. Mais sans justice, inclusion et vérité sur les responsabilités passées et présentes, il risque de n’être qu’un sursis.