78e AMS : l’Accord pandémique recompose les priorités sanitaires africaines

L’adoption à l’unanimité d’un accord juridiquement contraignant sur les pandémies lors de la soixante-dix-huitième Assemblée mondiale de la Santé constitue un tournant pour la gouvernance sanitaire mondiale. Ses dispositions axées sur l’équité – complétées par de nouvelles résolutions sur le paludisme, les maladies tropicales négligées et l’investissement dans le personnel de santé – pourraient redéfinir les stratégies continentales, tout en révélant des failles persistantes de financement et de mise en œuvre. Les décideurs africains doivent désormais convertir des engagements pris à Genève en programmes nationaux résilients, tout en préservant leur marge de manœuvre politique.

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Un nouveau cadre juridique pour la préparation

En entérinant un accord contraignant qui impose aux fabricants de réserver un cinquième de la production en temps réel de vaccins, thérapeutiques et diagnostics à une allocation mondiale, les délégués répondent à l’échec moral observé durant la pandémie de COVID-19. La reconnaissance explicite de la souveraineté nationale préserve toutefois la faculté des États de décider de restrictions de déplacement ou de mesures de confinement, conjuguant solidarité et autonomie. Cet équilibre, politiquement déterminant pour les gouvernements africains, facilite la justification d’engagements multilatéraux auprès de citoyens souvent méfiants à l’égard de conditionnalités extérieures.

Dividendes financiers et diplomatiques ou nouvelle dépendance

Les budgets sanitaires du continent sont comprimés par le service de la dette et le repli de l’aide bilatérale. La création d’un Mécanisme financier de coordination et d’un Réseau logistique mondial pourrait, en principe, ouvrir un accès préférentiel à des financements concessionnels. L’efficacité de ces instruments dépendra cependant du poids de la négociation africaine lors des discussions d’annexes sur le partage des avantages. Faute de garanties fermes en matière de prix différenciés et de transfert de technologies, les stocks d’urgence risquent de demeurer concentrés hors du continent, atténuant sans supprimer les disparités mises en évidence par la COVID-19.

Paludisme et dynamique vaccinale

Les manifestations parallèles à Genève ont ravivé l’attention politique portée à l’élimination du paludisme, en mettant l’accent sur la résistance aux antipaludiques et la structuration du marché pour des produits de nouvelle génération. L’Assemblée a salué la livraison de plus de vingt-sept millions de doses de vaccin antipaludique dans vingt pays africains et l’introduction prochaine d’un vaccin polyvalent contre la méningite dans neuf États à forte charge. Ces avancées accentuent la pression sur les ministères de la Santé, sommés d’étendre la chaîne du froid et d’intégrer de nouveaux antigènes à des plateformes vaccinales déjà sollicitées. Sans co-financement intérieur durable ni reconstitution accélérée des initiatives mondiales, les progrès de couverture pourraient se stabiliser.

Maladies tropicales négligées : progrès et fragilité

Les débats relatifs aux projets de résolution sur l’éradication de la dracunculose et la prise en compte des dermatoses comme priorités de santé publique soulignent à la fois les succès et les vulnérabilités. La certification de nouveaux pays exempts de ver de Guinée démontre l’efficacité d’une surveillance soutenue et d’une mobilisation communautaire. Néanmoins, la contraction annoncée de l’aide et les effets climatiques sur l’écologie des vecteurs menacent de faire reculer les acquis. L’appel de l’Assemblée à une collaboration transfrontalière est donc crucial pour le Sahel et la Corne de l’Afrique, où les mouvements de population compliquent la détection des cas.

Ressources humaines et capacité réglementaire

Les délégués ont relevé la pénurie de personnel de santé comme obstacle structurel à la couverture sanitaire universelle. Les propositions de plans d’investissement alignés sur les analyses du marché du travail rencontrent un écho particulier en Afrique, qui supporte une part disproportionnée de la pénurie mondiale de professionnels qualifiés. La reconnaissance de cinq régulateurs africains ayant atteint le niveau trois de maturité offre une plateforme pour accélérer l’homologation de vaccins et de médicaments, tout en exigeant un renforcement durable de la pharmacovigilance et de la science réglementaire.

Implications stratégiques pour les programmes continentaux

Ensemble, les résolutions et évènements parallèles dessinent un programme intégré liant préparation, soins de santé primaires et initiatives verticales. L’accord pandémique pourrait stimuler la fabrication régionale via des engagements d’achats groupés, en phase avec l’objectif de l’Union africaine de produire localement soixante pour cent des vaccins d’ici 2040. Toutefois, son caractère volontaire pour les non-signataires et l’absence de mécanismes coercitifs risquent d’affaiblir le levier africain lors des négociations technologiques.

Pour les décideurs, les priorités immédiates incluent l’incorporation de l’accord dans le droit interne, la négociation de conditions équitables dans la future annexe sur le partage des agents pathogènes, et l’intégration d’indicateurs d’équité aux cadres de suivi. Sur le plan programmatique, les gains en matière de paludisme, de MTN et de vaccination devront être sécurisés par l’investissement dans des modèles de prestation résilients au changement climatique et par la mise en correspondance des financements ciblés avec le renforcement des systèmes. Enfin, la résolution sur la main-d’œuvre sanitaire représente une occasion d’institutionnaliser le code éthique de recrutement et de mobiliser l’expertise de la diaspora.

La soixante-dix-huitième Assemblée offre un canevas diplomatique visant à corriger des iniquités historiques. Sa capacité à générer un changement transformateur dépendra moins du texte adopté à Genève que de la volonté politique et de l’ingéniosité budgétaire des gouvernements africains et de leurs partenaires pour en opérationnaliser les dispositions. L’année à venir – marquée par les négociations sur l’accès aux agents pathogènes et une importante reconstitution vaccinale – mettra cette détermination à l’épreuve.

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