Lorsque Aminata K.* quitta Conakry, munie d’une lettre d’acceptation à en-tête de l’UQAC, elle rêvait d’un amphithéâtre, non d’une porte de bureau close. Son dossier, comme quarante-trois autres, était fictif ; l’en-tête avait été siphonné par un réseau de recruteurs basés à Dakar et Abidjan qui vendait l’espoir contre espèces. L’affaire, toujours sous enquête conjointe de la GRC et d’IRCC, révèle l’incapacité de recruteurs privés, d’universités publiques et de plusieurs paliers de gouvernement à surveiller un marché évalué à 22 milliards $CA d’exportations—marché dépendant de plus en plus de l’Afrique francophone.
Une décennie de contrôles laxistes
Une enquête au long cours de Radio-Canada a retracé dès 2017 la toile d’agents opérant en Asie du Sud et en Afrique de l’Ouest, lorsque l’UQAC commença à courtiser des étudiants rémunérants pour des programmes de niche. L’université affirme que seulement 1,3 % de ses quelque 3 500 candidats étrangers furent touchés, mais des courriels internes consultés par des journalistes montrent que des mises en garde professorales furent ignorées pendant des années. Des travaux universitaires sur la « mobilité illégale » de diplômés qualifiés décrivent un détournement de diplômes qui prospère lorsque les voies légales se rétrécissent. Au Sahel et dans le Golfe de Guinée, le permis d’études canadien est désormais présenté comme une alternative aux traversées méditerranéennes, les recruteurs vendant un « sésame nord-américain » exploitable vers l’espace Schengen ou le marché états-unien.
Des lettres frauduleuses à quarante-quatre rêves brisés
Les victimes—principalement sénégalaises, guinéennes et camerounaises—déclarent avoir payé jusqu’à 12 000 $US pour des dossiers d’admission falsifiés, une assurance maladie et un kit de permis d’études prétendument garanti. Une fois au Québec, elles découvrent que leur statut dépend de l’inscription authentique auprès d’un établissement d’enseignement désigné. Les ordonnances d’expulsion s’ensuivent ; les remboursements de droits de scolarité demeurent rares. Un ancien agent d’immigration de Saguenay, sous le couvert de l’anonymat, déplore une « externalisation industrielle » des admissions qui a dépassé le budget de diligence du registraire alors que les inscriptions internationales triplaient entre 2018 et 2024. Les consulats ouest-africains à Montréal rapportent une hausse des demandes d’assistance d’urgence d’étudiants laissés sans ressources après l’invalidation de leur offre.
Le pivot politique du Québec : plafonds, conformité et autonomie contestée
Le 5 juin 2025, le gouvernement provincial a dévoilé un projet pluriannuel qui, pour la première fois, fixe des plafonds contraignants pour l’immigration temporaire et permanente. Le texte prévoit une réduction de 13 % des étudiants internationaux d’ici 2029 et introduit une obligation de français lors du renouvellement à trois ans. Parallèlement, un arrêté ministériel plafonne les demandes de permis : l’UQAC ne pourra déposer que 7 674 dossiers pour l’année 2025-2026, soit 20 % de moins que l’an dernier.
Pour Québec, le plafond constitue un acte de souveraineté : l’enseignement supérieur relève de la compétence provinciale, mais les retombées réputationnelles des abus de visa affectent les portefeuilles fédéraux du commerce et des relations extérieures. Les recteurs universitaires dénoncent des quotas abrupts menaçant la recherche conjointe avec l’Afrique ; les ministres provinciaux rétorquent que l’intégration linguistique et la pression immobilière imposent la modération.
La riposte fédérale : Ottawa serre la vis
Le levier fédéral est réglementaire. En novembre 2024, IRCC a activé une règle permettant de suspendre un établissement jusqu’à un an s’il ne vérifie pas les lettres d’acceptation, et a ramené le nombre d’heures de travail hors campus à 24 par semaine afin de dissuader la migration purement économique. « Nous attendons des institutions qu’elles soutiennent nos efforts pour préserver l’intégrité du Programme des étudiants étrangers », a averti le ministre Marc Miller. Le nouveau portail de vérification des lettres d’offre a déjà signalé plus de 17 000 offres douteuses au Canada, près d’un quart provenant de Lagos, Accra et Yaoundé.
Enjeux géopolitiques : érosion de la puissance douce et sensibilités consulaires
Les missions étrangères à Ottawa—en particulier celles du bloc francophone de l’Union africaine—ont discrètement demandé réparation pour les étudiants victimes de fraude, conscientes qu’un scandale de visas peut devenir irritant bilatéral. L’avantage comparatif du Canada comme destination académique fiable est en jeu ; l’Indice Henley de puissance douce 2025 crédite 14 % de l’influence canadienne à l’exportation d’éducation. Un diplomate ouest-africain de haut rang, requérant l’anonymat, remarque que « chaque lettre rejetée résonne sur les réseaux plus vite que toute campagne sous feuille d’érable ». Les attachés au développement préviennent que le capital de sympathie engendré par les bourses, telles que les Prix Reine Élizabeth II, pourrait s’estomper si le recrutement commercial demeure sous-régulé.
Le scandale de l’UQAC n’est ni un épiphénomène statistique ni une singularité québécoise. Il agit comme le canari dans la mine du régime migratoire étudiant canadien, révélant des failles structurelles entre recrutement agressif, autonomie provinciale et conformité fédérale—failles touchant disproportionnellement les jeunes Africains qui voient au Canada un portail francophone vers la mobilité globale. Les prochaines auditions parlementaires sur le plan d’immigration québécois montreront si Ottawa et Québec peuvent concilier intégrité et ouverture—ou si d’autres Aminata arriveront, pour voir leurs rêves se dissoudre au comptoir du registraire.