Une guerre lointaine, des secousses immédiates
L’escalade militaire entre Israël, l’Iran et leurs alliés bouleverse l’équilibre fragile du Moyen-Orient, mais ses ramifications dépassent de loin cette seule région. L’Afrique, bien que géographiquement éloignée, ressent déjà les répercussions de cette crise multiforme. Entre volatilité économique, pression diplomatique et vulnérabilités sécuritaires, le continent africain, encore convalescent des séquelles du Covid-19, de la guerre en Ukraine et des bouleversements climatiques, est à nouveau confronté à des secousses exogènes menaçant ses équilibres internes.
Une diplomatie de prudence face à un brasier incontrôlable
Si le conflit oppose directement Israël à l’Iran, les capitales africaines ont, pour la plupart, opté pour la retenue. Cette prudence s’explique autant par la faiblesse des liens bilatéraux avec les deux protagonistes que par la volonté d’éviter de s’inscrire dans une logique de blocs. De Rabat à Pretoria, en passant par Alger, Abuja ou Nairobi, les positions exprimées privilégient l’appel au respect du droit international et à la désescalade.
Le silence de l’Union africaine et l’absence de sommet extraordinaire révèlent toutefois les limites d’une diplomatie continentale encore peu structurée. Certains États, comme l’Algérie, la Mauritanie ou l’Égypte, ont pris position de manière mesurée, tandis que d’autres, liés à Israël par des accords récents, préfèrent la discrétion. Le Maroc, engagé dans une coopération stratégique avec Tel-Aviv, adopte un silence calculé, tiraillé entre obligations diplomatiques et opinion publique mobilisée.
Pressions diplomatiques et risques de polarisation
Cette crise place de nombreux États africains dans une position diplomatique inconfortable. L’alignement implicite ou explicite sur l’un des camps pourrait engendrer des conséquences lourdes : ruptures d’alliances, sanctions économiques, ou perte d’accès à certains partenariats stratégiques.
L’Afrique du Sud, dont la politique étrangère oscille entre non-alignement et critique du système international, marche sur une ligne étroite. Sa position sera scrutée, notamment au sein des forums multilatéraux comme les BRICS élargis, où l’adhésion récente de l’Iran pourrait accentuer les tensions internes du bloc.
La sécurité sous tension : l’Afrique, théâtre potentiel de représailles
Au-delà des postures diplomatiques, le risque sécuritaire est réel. Des bases militaires occidentales situées en Afrique de l’Est – à Djibouti ou en Somalie – pourraient devenir cibles de représailles indirectes. De même, la présence israélienne en Érythrée ou au Tchad accroît le risque d’attaques ciblées de la part de groupes affiliés à l’axe iranien. Le spectre d’une instrumentalisation de groupes religieux ou armés, notamment en Afrique de l’Ouest, ajoute une couche de complexité à une situation déjà fragile.
Dans certains pays comme le Nigeria, les tensions confessionnelles pourraient être exacerbées. Des groupes chiites radicaux, se sentant en solidarité idéologique avec Téhéran, pourraient franchir le pas de la violence. La porosité des frontières et la faiblesse des États face aux groupes armés autonomes rendent plausible une extension indirecte du conflit.
Choc énergétique et inflation importée : le baril, variable de crise
La flambée des prix du pétrole, consécutive à la menace sur le détroit d’Ormuz, affecte de manière asymétrique les économies africaines. Les pays importateurs – comme le Sénégal, le Kenya ou la Côte d’Ivoire – sont les plus exposés. Cette hausse entraîne un renchérissement du coût de la vie, alimente l’inflation et complique la gestion budgétaire dans un contexte déjà contraint.
Les États producteurs – Algérie, Nigeria, Angola, Ghana – peuvent espérer des recettes supplémentaires, mais celles-ci risquent d’être absorbées par les hausses de coûts logistiques et les exigences de stabilisation macroéconomique. Pour les économies dépendantes des importations de produits pétroliers raffinés, le gain net est souvent illusoire.
Vulnérabilité économique et risque de déséquilibres structurels
Le renforcement du dollar, induit par une fuite globale vers les actifs refuges, fragilise encore davantage les monnaies africaines. Cela aggrave le poids du service de la dette extérieure, alimente les tensions budgétaires et pourrait pousser certains États vers un défaut ou une renégociation des échéances.
Des pays comme le Ghana, la Zambie ou l’Éthiopie, déjà engagés dans des processus de restructuration de dette, voient leur marge de manœuvre rétrécir. Pour les États fragiles du Sahel, le désengagement progressif des partenaires occidentaux dans le domaine sécuritaire et du développement pourrait ouvrir un boulevard aux acteurs extrarégionaux, avec des agendas parfois divergents des intérêts africains.
Une diplomatie africaine à repenser : entre fragmentation et affirmation
L’un des enseignements majeurs de cette crise est la nécessité pour l’Afrique de renforcer sa voix collective. L’inaudibilité de l’Union africaine, l’absence de stratégie concertée et la fragmentation des positions nationales soulignent le déficit d’intégration diplomatique continentale. Dans un monde où le multilatéralisme est remis en question, l’Afrique doit bâtir une architecture diplomatique capable de défendre ses intérêts dans les arènes internationales.
Face au retour de la logique de puissance brute et au risque d’un ordre international de plus en plus polarisé, les pays africains doivent redoubler d’efforts pour préserver les principes du droit international, renforcer leur autonomie stratégique et consolider leur résilience économique.
Anticiper le chaos, investir dans la stabilité
Loin d’être un conflit périphérique, la crise Iran–Israël constitue un révélateur brutal de la vulnérabilité africaine dans un monde en recomposition. Qu’il s’agisse de sécurité, d’économie ou de diplomatie, les effets de cette guerre se font déjà sentir sur le continent. À défaut de s’y préparer, l’Afrique risque de redevenir un théâtre secondaire des affrontements globaux, sans en maîtriser ni les causes ni les conséquences.
Il est impératif que les dirigeants africains adoptent une posture stratégique, réactive mais structurée, afin d’éviter que le continent ne soit une nouvelle fois emporté par une tempête qu’il n’a pas provoquée.