Diplomatie ou dépendance ? L’heure des choix dans les relations Europe–Afrique

Alors que la diplomatie du carnet de chèques chinois et les Africa Corps russes se disputent l’influence, une nouvelle génération de dirigeants africains et européens recompose discrètement les relations autour du pragmatisme plutôt que de la mémoire. Avec soixante-dix pour cent des Africains subsahariens âgés de moins de trente ans, et un agenda UE-UA qui entend « surmonter les défis géopolitiques passés et présents », la grille de lecture post-coloniale paraît de plus en plus anachronique. La France, portée par la puissance de feu de l’Union, peut encore ancrer la sécurité et l’investissement vert, à condition que les deux continents résistent aux guerres narratives destinées à rouvrir les lignes de faille Nord-Sud.

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Une génération dégagée du poids de l’Empire

Les diplomates ayant négocié, en mai, la Vision conjointe UE-UA à vingt-cinq ans ont insisté sur le fait que « notre avenir réside dans une coopération étroite et des efforts communs au bénéfice mutuel des peuples d’Afrique et d’Europe », un langage qui marque la volonté de s’affranchir des hiérarchies héritées. Sur le plan démographique, cette recalibration est inévitable : près de sept Africains sur dix ont moins de trente ans, et le décideur européen moyen qui leur fait face est né après la plupart des indépendances africaines. Paris, Bruxelles ou Abuja savent que leurs électorats et leurs marchés du travail prospéreront ou chancelleront ensemble face au stress climatique et à la révolution numérique.

Du grief à l’intérêt mutuel

L’Agence française de développement a consacré 13,7 milliards d’euros en 2024—essentiellement fléchés vers le climat—à des projets africains cogérés avec universités locales et société civile, preuve que la finance du développement n’est plus à sens unique. De son côté, la Global Gateway européenne a validé 138 corridors phares pour plus de 20 milliards d’euros, de l’hydrogène kényan à la fibre optique sénégalaise, en les qualifiant explicitement d’« investissements d’égal à égal » plutôt que de nouveaux avatars du néo-colonialisme. Ces initiatives arriment la croissance africaine aux normes réglementaires européennes, et offrent une alternative aux modèles d’endettement critiqués ailleurs.

Batailles narratives : l’intérêt asiatique dans la discorde Nord-Sud

Les menaces les plus redoutables pour ce partenariat mûrissant ne viennent pas des ressentiments persistants, mais d’acteurs tiers qui tirent profit de la méfiance euro-africaine. Une étude du Centre d’excellence hybride, publiée en janvier 2025, détaille la manière dont Pékin et Moscou amplifient les griefs coloniaux en Afrique francophone pour « fragiliser la perception publique de la France et des États-Unis ». Le nouvel Africa Corps russe a appliqué cette méthode lorsqu’il a vanté son soutien « plus fondamental » à Bamako après le retrait de Wagner le 6 juin. Cette rhétorique vise à présenter l’engagement européen comme un vestige, tandis que la firme chinoise Sunrev lançait, le mois précédent, une usine de composants solaires de 200 millions de dollars dans la zone du canal de Suez—initiative peu désintéressée.

La France comme conduit stratégique de l’Europe

Paris conserve son influence précisément parce qu’elle ne revendique plus la primauté. En associant appui antiterroriste dans le golfe de Guinée et corridors d’hydrogène vert soutenus par l’UE au Maroc, la France offre à ses partenaires africains sécurité immédiate et trajectoires de décarbonation à long terme. Devant le Parlement britannique le 8 juillet, le président Macron a mis en garde les Européens contre « une double dépendance vis-à-vis des États-Unis et de la Chine » et affirmé qu’un compact euro-africain résilient est le seul vecteur de sauvegarde des valeurs démocratiques. Ce discours trouve un écho à Addis-Abeba où, sur fond de débats sur les réparations coloniales, les responsables de l’Union africaine insistent pour que la coopération tournée vers l’avenir ne soit pas sacrifiée sur l’autel de batailles symboliques peu fertiles pour la jeunesse actuelle.

Une coopération à prouver, non à proclamer

Les arguments post-coloniaux conservent une portée morale, mais perdent en efficacité lorsqu’ils sont instrumentalisés par des puissances extérieures. Si l’Europe et l’Afrique laissent des entrepreneurs de la mémoire réduire chaque négociation à un match retour de l’histoire, elles renonceront au dividende démographique, au financement de l’énergie propre et à l’interopérabilité sécuritaire dont elles ont cruellement besoin. Le rôle de la France—désormais facilitateur plutôt que paternel—illustre la manière dont les liens historiques peuvent se muer en plateformes de croissance véritablement interdépendante. Désamorcer les rancœurs recyclées et prouver, par des réalisations concrètes, qu’une amitié Nord-Sud peut être à la fois équitable et indispensable : telle est désormais l’urgence des deux rives de la Méditerranée.

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Abdoulaye Diop est analyste en énergie et développement durable. Diplômé en sciences de l'environnement et sciences économiques, il couvre les enjeux des hydrocarbures, les partenariats pour la transition énergétique et les grandes infrastructures panafricaines. Il suit également les impacts géopolitiques des ressources naturelles sur la diplomatie africaine.
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