Des bulletins aux responsabilités : décrypter un mandat de 183 voix
Le 3 juin 2025, l’Assemblée générale a élu Bahreïn, la Colombie, la RDC, la Lettonie et le Libéria comme membres non permanents ; Kinshasa a obtenu 183 voix. Pour Thérèse Kayikwamba Wagner, ministre des Affaires étrangères, « l’unité africaine s’affirme ainsi au cœur de l’agenda sécuritaire mondial ». C’est seulement la troisième fois, depuis 1993, que le Congo retrouve ce cénacle, à un moment où tensions régionales et doutes sur la légitimité intérieure sont particulièrement vifs.
Turbulences orientales sur une scène globale
La reprise des offensives du M23 vers Goma et la présence persistante de troupes étrangères illustrent la fragilité de l’Est congolais. La résolution 2765 (2024) a prorogé, jusqu’en décembre 2025, le mandat de la MONUSCO tout en avertissant qu’un retrait précipité créerait un vide sécuritaire (ONU, 20 décembre 2024). Kinshasa doit désormais convaincre des pairs sceptiques que sa stratégie ne délègue pas la stabilité à une mission déjà sur-étendue. La réunion d’information prévue en juin 2025, consacrée à la trajectoire sécuritaire congolaise, sera un premier test.
Kagame, Kigali et Kinshasa : diplomatie sous pression
Le retrait soudain du Rwanda de la CEEAC, le 8 juin 2025, sur fond d’accusations de soutien au M23, accentue une fracture régionale visible. Kinshasa devra éviter de transformer son nouveau siège en tribunal contre Kigali, sans ignorer pour autant les appels internes à un embargo sur les armes. Toute maladresse risquerait d’aliéner des alliés disposant du veto et d’éroder le capital de légitimité acquis grâce au score électoral.
Normes, minerais et responsabilité de protéger
Sept des quinze membres 2026 du Conseil seront des « Amis de la R2P », dont la RDC, remarque le Global Centre for the Responsibility to Protect. Cette convergence pourrait renforcer la crédibilité congolaise, entamée par des accusations d’exactions. Le dossier minier n’en est pas moins crucial : chaînes d’approvisionnement en cobalt, cuivre et tantale sous contrôle ESG, potentiel de mille milliards de dollars. Le siège offre à Kinshasa la tribune pour prôner la coexistence entre transparence accrue et incitations au développement.
Arithmétique des coalitions au sein du Conseil
Réunir 183 voix est plus simple qu’aligner neuf soutiens sans déclencher un veto. Le retour de la Colombie, le prisme ouest-africain du Libéria et la diplomatie de Bahreïn façonneront les conciliabules. Pour la RDC, présider un comité de sanctions ou de ressources naturelles pourrait offrir une expertise reconnue tout en évitant de front les permanents. Les présidences congolaises passées montrent qu’un dossier lointain, comme la sécurité maritime, peut devenir monnaie d’échange pour un futur vote sur les Grands Lacs.
Du symbole à la substance
Le président Félix Tshisekedi aborde ce mandat avec un atout à double tranchant : la visibilité mondiale. S’il défend la protection des civils, accélère une sortie conditionnelle de la MONUSCO et tempère la friction avec Kigali, son mandat de deux ans pourrait recalibrer la diplomatie des Grands Lacs. Un échec conforterait le cynisme selon lequel ces élections ne sont que mise en scène. Les dix-huit prochains mois diront si un Congo meurtri peut convertir la tribune new-yorkaise en dividendes sécuritaires tangibles et offrir à l’Afrique une voix plus cohérente dans le cénacle le plus puissant de la diplomatie multilatérale.