Un adieu discret sur Telegram
Un bref communiqué publié le 6 juin sur le canal vérifié Razgruzka Vagnera affirme que Wagner « a rendu toutes les capitales régionales à l’autorité légitime » et « rentre au pays » après avoir mené à bien sa mission principale. La formule, dépourvue de détails opérationnels, reprend le lexique officiel employé lors du retrait du groupe du front ukrainien l’an dernier. Les analystes estiment que cette rhétorique projette un succès tout en dissimulant les pertes sévères subies récemment face au Jama’at Nasr al-Islam wal-Muslimin dans le centre du Mali.
Le calcul stratégique de Bamako
Depuis le coup d’État de 2021, la junte malienne présente les auxiliaires russes comme une alternative souveraine à l’opération Barkhane et à la MINUSMA, toutes deux parties en 2024. Pour le colonel Assimi Goïta, le départ de Wagner est politiquement sensible : reconnaître un déficit capacitaire fragiliserait le récit officiel d’autonomie. Un haut responsable malien, sous couvert d’anonymat, a assuré à Reuters qu’« aucun vide ne se créera », de nouveaux instructeurs russes étant déjà sur place.
La continuité de l’Africa Corps
Quelques heures après l’annonce de Wagner, l’Africa Corps d’État russe déclarait que Moscou « ne perd pas pied ; au contraire, elle appuie Bamako désormais à un niveau plus fondamental ». Créé après la mutinerie de Yevgeny Prigojine en juin 2023, le Corps relève directement du ministère russe de la Défense et se concentre sur la formation, la logistique et les transferts d’armes plutôt que sur les opérations offensives de grande ampleur. Des sources diplomatiques à Moscou indiquent que d’anciens cadres de Wagner se voient proposer des contrats au sein du Corps, permettant à la Russie de conserver un personnel aguerri tout en rétablissant un commandement plus strict et une meilleure couverture juridique.
Répercussions régionales sur la sécurité
Rien ne garantit que ce changement de marque freinera la dégradation sécuritaire. Le Jama’at Nasr al-Islam wal-Muslimin et la Province de l’État islamique au Sahel ont intensifié leurs attaques en mai, submergeant des garnisons à Mopti et Tombouctou et infligeant, selon des services de renseignement occidentaux, les plus lourdes pertes à Wagner depuis son arrivée en 2022 (Associated Press, 8 juin 2025). International Crisis Group avertit qu’un retrait perceptible des forces russes de première ligne « stimulerait les insurgés et aggraverait le climat de peur parmi les civils ».
Droits humains et répercussions diplomatiques
Le pivot du Kremlin n’efface en rien les accusations de participation de Wagner, aux côtés des forces maliennes, aux massacres de Moura en 2022 et de Nia Ouro en 2024. Human Rights Watch et le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme réclament des enquêtes indépendantes, revendication reprise cette semaine par le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell, pour qui « un simple changement d’étiquette ne peut effacer les responsabilités ». Washington a indiqué que les sanctions en vertu du Global Magnitsky Act resteront en vigueur jusqu’à l’ouverture de procédures judiciaires crédibles, position partagée par Paris et Berlin.
La posture africaine élargie de la Russie
Le retrait de Wagner s’inscrit dans l’évolution doctrinale exposée par le concept de politique étrangère russe de mars 2025, qui privilégie la « coopération militaro-technique » aux expéditions combattantes. Le modèle Africa Corps, déjà expérimenté au Soudan et en République centrafricaine, offre à Moscou une empreinte modulable, compatible avec des accords État-à-État et moins vulnérable aux crises de leadership après la mort de Prigojine. Néanmoins, des travaux de l’Université de Georgetown soulignent que le Corps peine à recruter de nouvelles recrues et s’appuie sur l’image de marque de Wagner pour son prestige, révélant des lignes de fracture dans la stratégie de proxy russe.
Pour la junte malienne, la continuité promise du soutien russe pourrait éviter une rupture capacitaire immédiate, mais l’image d’un départ de Wagner complexifie les prétentions de Bamako à l’initiative opérationnelle. Pour Moscou, l’épisode traduit la transition d’un aventurisme mercenaire vers des partenariats sécuritaires formalisés, conçus pour survivre aux fortunes d’une seule armée privée. Savoir si cette présence rebaptisée freinera l’expansion djihadiste – ou ne fera que déplacer la responsabilité loin du nom terni de Wagner – déterminera la prochaine phase de la crise prolongée au Sahel.