Le pacte de paix RD Congo-Rwanda parrainé par Washington tiendra-t-il vraiment ?

Un projet d’accord de paix paraphé à Washington le 18 juin promet de mettre un terme au cycle le plus meurtrier entre Kinshasa et Kigali. En liant le cessez-le-feu à un dispositif occidental de financement des minerais critiques, les États-Unis parient que le profit pourra enfin servir d’aiguillon à une paix durable dans la région des Grands Lacs.

John Mwangi
6 mn de lecture

Une médiation sans précédent à Washington

À 2 h 15, le 18 juin, les chefs des délégations techniques congolaise et rwandaise ont apposé leurs paraphe sur chaque page d’un projet de 23 pages sous les lustres de la Benjamin Franklin Room du Département d’État américain. Le communiqué conjoint — confirmé par Le Monde — fixe la signature officielle au 27 juin, le secrétaire d’État Marco Rubio agissant comme témoin. Le Qatar, qui a assuré une facilitation discrète, siègera aux côtés des États-Unis au comité de suivi. Le texte engage les deux capitales à respecter l’intégrité territoriale, à interdire immédiatement toute hostilité et à créer un mécanisme de sécurité conjoint chargé de statuer sur les violations alléguées dans un délai de soixante-douze heures.

Minéraux, argent et motivations

Derrière cette chorégraphie diplomatique se profile une stratégie économique assumée. Washington veut que l’étain, le tungstène, le tantale et le lithium de l’Est congolais soient acheminés légalement vers le Rwanda pour y être raffinés, tarissant ainsi la principale source de revenus des groupes armés et diversifiant l’approvisionnement occidental au détriment de la Chine. Kinshasa voit dans la traçabilité et la transformation locale un rempart face aux 200 millions de dollars que lui coûte chaque année la contrebande ; Kigali anticipe une manne de plusieurs milliards en valeur ajoutée. Ces incitations figurent dans une lettre d’accompagnement qui lie le retrait progressif des troupes au déblocage par étapes de garanties de la Development Finance Corporation et d’assurances de l’Export-Import Bank.

Entre le M23 et le FDLR : gros plan sur les dispositions sécuritaires

La clause 7 oblige le M23, à dominante tutsie, et le FDLR, à majorité hutue, à se retirer de vingt kilomètres de leurs lignes actuelles et à remettre leurs armes lourdes dans les quarante-huit heures suivant la signature. Une commission de vérification conjointe — présidée par l’Union africaine et conseillée par la MONUSCO — certifiera la conformité. L’enjeu humanitaire est considérable : le dernier décompte d’Associated Press fait état de plus de sept millions de Congolais déplacés après la prise de Goma par le M23 en janvier et son avancée vers Bukavu en février.

Un échafaudage juridique déterminant

Ce qui distingue le projet du Potomac des accords éphémères de Luanda et Nairobi, c’est son ancrage explicite dans le droit des Nations unies. La résolution 2773 du Conseil de sécurité, adoptée à l’unanimité le 21 février, exige déjà du M23 qu’il cesse ses offensives et des forces rwandaises qu’elles se retirent inconditionnellement du territoire congolais ; en l’incorporant verbatim dans son préambule, l’accord offre au Conseil un levier exécutoire, incluant la menace de sanctions au titre du Chapitre VII en cas de manquement.

Optique régionale et enjeux mondiaux

La décision de l’Angola, en mars, de « prendre du recul » après avoir accusé les deux parties de mauvaise foi a ouvert la voie à l’intervention américaine. Pour les capitales occidentales, le pacte constitue un test de « realpolitik » adossée aux minerais ; pour Pékin, c’est une remise en cause directe de sa prédominance dans les chaînes d’approvisionnement en métaux pour batteries. Paris a déjà évoqué un appui budgétaire européen sous conditions, tandis que Londres examine une couverture d’assurance pour moderniser le rail congolais afin d’acheminer les métaux raffinés vers les ports kenyans.

Récompenses conditionnelles et écueils familiers

Chaque jalon sécuritaire vérifié libère un volet de financement : 250 millions de dollars de garanties à l’ouverture des premiers sites de cantonnement, puis 400 millions supplémentaires quand le projet pilote de traçabilité minière à Goma délivrera son premier certificat blockchain le 1ᵉʳ août. Tout retard déclenche un gel automatique. Les critiques rappellent que des clauses similaires de « paix contre paiement » dans l’Accord de paix global soudanais de 2005 ont sombré lorsque les belligérants ont considéré la signature comme une fin en soi, non comme un point de départ.

Une route prudente jusqu’au 27 juin

Les diplomates à Kinshasa plaisantent souvent : l’Est congolais compterait plus d’accords de paix que de kilomètres de bitume. Pourtant, même les plus cyniques reconnaissent la nouveauté structurelle de la diplomatie du Potomac : jamais auparavant clauses sécuritaires, accès au marché et financement du développement n’avaient été fusionnés dans un même instrument, rigoureusement séquencé. L’équipe de vérification avancée doit atterrir à Goma quarante-huit heures après la cérémonie ; son passage en sécurité sur l’axe Rutshuru sera le premier test tangible.

Le verdict sur le pacte de Washington ne sera pas rendu lors de la poignée de main télévisée, mais dans le silence — ou non — de l’artillerie autour de Sake et l’apparition de pistes d’audit dans les entrepôts de coltan six mois plus tard. Dans les Grands Lacs, paix et profit sont des jumeaux siamois : couper l’un, c’est faire saigner l’autre. Reste à savoir si la diplomatie du Potomac saura maintenir les deux en vie : c’est la question géopolitique de l’été.

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John Mwangi est correspondant États-Unis pour AfricanDiplomats.com. Expert en politique étrangère, il analyse les stratégies américaines vis-à-vis de l’Afrique, qu’il s’agisse de sécurité, commerce, climat ou relations culturelles. Il éclaire également les tensions et convergences dans les forums multilatéraux.
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