Le siège vide de Kigali : la sortie surprise du Rwanda de la CEEAC sur fond de bras de fer avec la RDC

Le retrait abrupt du Rwanda de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) lors du sommet de Malabo a révélé la fragilité structurelle de l’organisation et accentué le duel diplomatique qui l’oppose à la République démocratique du Congo (RDC). Les répercussions se font déjà sentir sur les chaînes d’approvisionnement de minerais stratégiques et sur les mécanismes régionaux de sécurité.

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Un fauteuil disputé à Malabo

Le vingt-sixième sommet ordinaire de la CEEAC, réuni à Malabo les 7 et 8 juin 2025, devait se dérouler sans drame : le Rwanda devait assurer la présidence tournante, une succession explicitement prévue par l’article 6 du traité. Le scénario a dérapé lorsqu’une motion de procédure – apparemment portée par la RDC – a prorogé d’un an le mandat de la Guinée équatoriale. La délégation rwandaise a quitté la salle avec fracas, dénonçant « une marginalisation délibérée destinée à imposer le diktat de la RDC ». Quelques minutes plus tard, le ministère rwandais des Affaires étrangères publiait un communiqué affirmant que le pays « ne voit plus de raison de rester dans une organisation dont le fonctionnement actuel va à l’encontre de ses principes fondateurs » (Xinhua, 8 juin 2025).

Contre-récit de Kinshasa et arrière-plan sécuritaire

Kinshasa n’a pas tardé à cadrer le discours. Un communiqué de la présidence de Félix Tshisekedi a déclaré que la CEEAC avait « reconnu l’agression du Rwanda » et exigé le retrait des forces rwandaises du territoire congolais. En liant ainsi le différend sur la présidence à la rébellion du M23, les diplomates congolais ont présenté le départ du Rwanda comme un aveu implicite. Kigali réplique que ses troupes opèrent uniquement en légitime défense contre les milices FDLR et qualifie les accusations de soutien au M23 de « campagne de désinformation occultant des décennies d’activités transfrontalières de groupes armés », selon la porte-parole Yolande Makolo.

Les calculs sécuritaires amplifient les enjeux. Depuis janvier, l’alliance M23 a conquis les pôles miniers de Butembo et Bunia, compromettant les chaînes de cobalt et de tantale indispensables à la production mondiale de batteries. À Johannesburg, le prix au comptant du cobalt a bondi de quatorze pour cent depuis avril, un sursaut que les analystes attribuent à l’incertitude qui pèse sur les corridors d’exportation du Nord-Kivu. En quittant la CEEAC, le Rwanda se prive d’un forum institutionnel de coordination sécuritaire précisément au moment où la gouvernance des ressources devient à la fois plus urgente et plus politisée.

Géométrie régionale et acteurs extérieurs

La fragilité de la CEEAC est un secret de Polichinelle, mais le retrait unilatéral de Kigali est sans précédent. Le traité de Libreville de 1983 reste muet sur les modalités de sortie, plongeant les États membres dans une terra incognita juridique. Des juristes camerounais comparent la situation au Brexit : un acte politique réclamant désormais une voie de droit sur mesure. Le ministre angolais des Affaires étrangères, Téte António, a mis en garde contre « tout désengagement précipité qui porterait atteinte à chaque cadre régional laborieusement construit », révélant la crainte d’un effet domino.

Les puissances extérieures recalibrent leurs positions. Washington valorise l’expertise antiterroriste du Rwanda et sa régularité dans les missions onusiennes, mais redoute qu’un retrait alimente les narratifs dépeignant Kigali comme acteur inflexible. Bruxelles, pour sa part, lorgne les réserves de lithium d’Afrique centrale et craint que la paralysie institutionnelle retarde les accords d’approvisionnement promis dans le cadre de l’initiative Global Gateway. Pékin, plus discret, voit l’occasion de conclure des accords bilatéraux avec des États isolés, contournant les lourdeurs multilatérales.

Options diplomatiques après le retrait

À Kigali, le gouvernement présente la décision comme un acte de principe plutôt qu’une fuite. Devant le Sénat, le 9 juin, le ministre des Affaires étrangères Vincent Biruta a déclaré que « la coopération ne prospère que lorsque les règles s’appliquent à tous », signalant un recentrage sur la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE) et un engagement accru au sein du Commonwealth. Les analystes esquissent trois scénarios plausibles. D’abord, Kigali pourrait négocier avec la CEEAC un accord d’association sur mesure, préservant la libre circulation des marchandises tout en renonçant aux obligations politiques. Ensuite, le pays pourrait s’appuyer davantage sur les mécanismes de la CAE pour compenser l’accès au marché perdu. Enfin, il pourrait promouvoir un mini-latéralisme avec des voisins partageant la même vision, comme le Gabon, axé sur les corridors d’infrastructures et les paiements numériques, substituant ainsi la fonction à la forme.

Tournant historique ou pause tactique ?

Le siège vide de Kigali deviendra-t-il simple note de bas de page ou tournant diplomatique ? Deux variables seront décisives : la cadence de la violence au Nord-Kivu et la volonté des poids lourds de la CEEAC d’élaborer un compromis honorable. Si des combats renouvelés paralysent les corridors miniers, l’Angola et le Cameroun pourraient relancer la diplomatie navette pour ramener Kigali à la table. À l’inverse, si Kinshasa maintient son élan actuel, le Rwanda pourrait ancrer durablement son pivot vers l’est, accélérant les forces centrifuges qui mettent déjà l’organisation à rude épreuve. Dans tous les cas, le sommet de Malabo restera moins dans les mémoires pour son ordre du jour technique que pour avoir révélé les limites de la solidarité au sein de la plus ambitieuse expérience d’intégration d’Afrique centrale.

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