Le programme de lutte contre le VIH de l’Afrique du Sud, autrefois salué comme un modèle mondial de réussite, est aujourd’hui en grave difficulté. La combinaison de coupes drastiques dans le financement américain et de faiblesses structurelles internes a plongé le système de prévention, de traitement et de recherche dans une crise sans précédent — avec des conséquences potentiellement dramatiques pour le pays qui compte la plus grande population vivant avec le VIH au monde.
Un effondrement progressif mais visible
Le point de bascule s’est produit en 2025 avec la suspension par les États-Unis du Plan d’urgence du Président pour la lutte contre le sida (PEPFAR) et la décision des National Institutes of Health (NIH) de mettre fin à des collaborations clés en matière de recherche. Pendant des décennies, ces programmes ont constitué l’ossature de la riposte sud-africaine au VIH — finançant non seulement les médicaments, mais aussi les personnes, les structures et les services qui assuraient leur efficacité.
Les conséquences ont été immédiates : fermeture de cliniques communautaires, ralentissement des campagnes de dépistage et de prévention, et stocks de médicaments innovants comme la PrEP injectable bloqués dans les entrepôts faute de logistique. De nombreuses ONG, qui assuraient la prise en charge de groupes vulnérables — travailleuses du sexe, jeunes, populations rurales — ont réduit leur présence ou cessé leurs activités.
Nous sommes sur le point d’assister à une vague de nouvelles infections au VIH, de maladies et de décès, avec un nombre record d’enfants nés séropositifs.
Professor Francois Venter – Clinicien Chercheur à la l’Universiteé de Witswatersrand, Johannesbourg
Selon des experts de santé publique de l’Université du Witwatersrand, le programme « s’effondre sous nos yeux », non pas parce que l’Afrique du Sud ne peut pas se permettre de financer les soins, mais parce que l’infrastructure vitale — financée presque entièrement par les États-Unis — disparaît.
Une infrastructure invisible qui s’effondre
Contrairement à ce que pense une partie de la population, la majorité des traitements antirétroviraux sont bien financés par l’État sud-africain. Mais l’aide américaine finançait ce qui permettait à ces médicaments d’arriver aux patients : gestionnaires de cas, équipes mobiles, agents de soins à domicile, conseillers, systèmes de données et essais cliniques. Cet écosystème maintenait des millions de personnes sous traitement et réduisait chaque année le nombre de nouvelles infections.
Comme l’a déclaré le Dr Francois Venter, expert reconnu en matière de VIH : « On peut avoir des entrepôts pleins de médicaments, mais si le système qui relie les patients au traitement s’effondre, tout cela est inutile. C’est ce que nous voyons se produire. »
Réaction gouvernementale : trop tard, trop peu ?
En réponse, le vice-président Paul Mashatile a annoncé des fonds d’urgence alloués par le Trésor national pour atténuer l’impact des coupes et a réaffirmé l’engagement du gouvernement envers le traitement universel. Mais les critiques estiment que ces mesures sont trop limitées et trop tardives pour combler le vide laissé par le retrait du PEPFAR et du NIH.
Le ministre de la Santé a assuré que l’approvisionnement en antirétroviraux se poursuivrait sans interruption. Toutefois, les acteurs de terrain préviennent que l’effondrement des services de soutien signifie moins de dépistages, moins de nouveaux patients mis sous traitement, et davantage de ruptures dans les parcours de soins — remettant en cause des décennies de progrès.
Communautés et chercheurs abandonnés
Le secteur de la recherche est également gravement affecté. La suspension des financements du NIH a interrompu plusieurs essais cliniques et programmes de développement de vaccins. Les collaborations avec les universités sud-africaines de pointe ont été mises en pause ou annulées. Par ailleurs, les organisations de la société civile, historiquement en première ligne de la lutte, sont aujourd’hui submergées.
Les populations les plus exposées — jeunes femmes, hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes, personnes transgenres — sont une fois de plus laissées pour compte, alors qu’elles sont au cœur de l’épidémie.
Vers une prise en charge nationale — ou un effondrement total ?
Cette crise relance aussi le débat sur la dépendance de l’Afrique du Sud à l’aide étrangère. Si certains y voient une opportunité de transition vers une autonomie locale, d’autres avertissent que cette « localisation » forcée, sans préparation ni ressources, équivaut à un abandon.
« Une transition locale sans financement, c’est simplement un mot poli pour dire : on vous laisse tomber », écrivait récemment un commentaire de l’Université de Wits, dénonçant un effondrement « prévisible, évitable, et meurtrier ».
Un espoir fragile dans l’incertitude
Quelques signaux d’espoir subsistent. Le secteur privé — notamment les assureurs et les grandes entreprises — a commencé à contribuer au maintien des services. Le Fonds mondial continue d’apporter un soutien limité. Et une mobilisation locale croissante d’experts, de chercheurs et d’acteurs communautaires cherche à reconstruire autrement la riposte.
Mais le chemin s’annonce difficile. Sans action urgente et coordonnée — et sans reconnaissance lucide de ce qui a été perdu — le coût humain pourrait exploser.
L’Afrique du Sud se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins. Les décisions prises dans les mois à venir détermineront si son programme VIH, autrefois exemplaire, peut survivre — ou si l’inaction conjuguée à des calculs géopolitiques court-termistes anéantira des années de lutte et d’espoir.